La clairière de Dubh
Sam 16 Nov 2024 - 17:38
La clairière de Dubh
Garin occupait une petite maison adossée à la colline de Dubh, à l’écart des villages alentour, depuis près d’une vingtaine d’années. Elle se situait dans une petite clairière ensoleillée, à l’herbe douce et légère, parsemée de fleurs délicates et colorées, parmi lesquels gambadaient joyeusement quelques animaux sauvages d’ordinaire craintifs.
Garin était arrivé dans cette maison pour ses quinze ans, lorsqu’il était devenu l’apprenti d’Arnulf qui lui avait enseigné tout ce qu’il savait sur les plantes et l’art de les utiliser. Le jour de ses 21 ans, Arnulf lui avait laissé la maisonnette, les plantes, le jardin et la clairière à entretenir, ainsi que ses instruments et ustensiles pour préparer les décoctions. Arnulf était alors parti, joyeux, avec seulement une besace pleine de plantes et quelques pièces.
Garin avait alors, à contrecœur, pris la place d’Arnulf dans la maison et auprès des habitants des villages voisins pour qui il préparait philtres et potions. Il continua à exercer son art, à récolter plantes et fruits sauvages pour ses préparations, à cultiver le petit jardin de simples, et à capturer les insectes ou asticots qui lui servaient également. Toujours il restait aux alentours de la maison, sans sortir de la clairière où il trouvait tout ce qu’il lui fallait.
Il n’entretenait pas de réelles relations avec les villageois qui avaient peur de lui et ne venaient le voir que s’ils avaient vraiment besoin de ses services. Seule Aleth n’éprouvait pas de frayeur et s’approchait sans crainte de la clairière, très souvent. Aleth était une jeune femme éthérée, d’une beauté éblouissante, mais au regard froid et dur, à la voix métallique, à la bouche méprisante. Elle connaissait tout ce qu’il y avait à savoir sur la forêt, elle était la forêt en quelque sorte.
À l’approche de ses 35 ans, Garin sut qu’il allait devoir transmettre son art, comme Arnulf l’avait fait avec lui. Aleth lui en parlait depuis quelques temps, le poussant à choisir un disciple, mais Garin hésitait. Aleth mit le doigt sur sa santé qui allait décliner et son savoir qui allait se perdre s’il ne trouvait pas quelqu’un au plus vite. Garin finit par se rendre à son avis, son art ne s’apprenait pas en quelques jours, cela nécessiterait un long apprentissage pour que le futur mage soit suffisamment aguerri pour prendre sa suite.
Peu de temps après, une femme vint chercher des remèdes. Elle était accompagnée de ses enfants, une fille et un garçon d’une quinzaine d’années environ chacun. La jeune fille semblait terrorisée, et ne quittait pas sa mère, inquiète. Le garçon quant à lui paraissait curieux de tout, son regard vagabondait et se posait dans tous les coins. Garin remarqua la curiosité du garçon et au détour de la conversation, lui demanda s’il aimerait apprendre son art avec lui.
Le garçon, Thiess, fut ravi de cette proposition, bien plus que sa mère qui elle était très réticente. Elle ne voulait pas que son fils vienne vivre dans cet endroit isolé et devienne le disciple de cet homme qu’elle craignait, tant à cause de son art que de son aspect physique, une tache de naissance en forme de papillon avec une aile atrophiée se trouvait sous son œil droit et lui donnait un regard particulier. De retour chez eux, d’âpres discussions virent le jour entre la mère et le fils. L’envie du garçon de partir et d’apprendre le métier avec Garin ne faisait qu’amplifier.
La veille de son anniversaire, après une énième dispute, Thiess prépara un petit baluchon en cachette. La nuit, quand ses parents et sa sœur furent endormis, il se glissa discrètement hors de la maison. Il partit en direction de la colline pour rejoindre la clairière de Garin par laquelle il se sentait irrésistiblement attiré. Il y arriva au petit matin, le soleil commençait tout juste à effleurer l’herbe douce de la clairière. Les animaux sauvages se réveillaient de leur nuit paisible. La vie reprenait doucement dans le petit coin de forêt.
Thiess s’arrêta sur le bord de la clairière, il se tenait très raide. Il n’osait s’avancer plus près de la petite maison. Il avait peur que Garin ne l’ait pas attendu et qu’il ait déjà pris un autre apprenti. Le soleil montait doucement sur l’horizon, derrière Thiess. La petite maison était encore close, ce qui lui parut inhabituel, bizarre.
Un moment plus tard, un Garin visiblement fatigué ouvrit lentement les volets. Il leva la tête. Étonné, il suspendit un instant son geste. Une silhouette se tenait devant le soleil levant, de telle sorte qu’il avait l’impression qu’elle irradiait. Garin plissa les yeux, puis un sourire se dessina sur ses lèvres, il venait de reconnaître le garçon.
Thiess s'approcha timidement, un peu emprunté. Il déposa son maigre bagage sur l'herbe douce tandis que Garin finissait d'ouvrir sa maison en grand. Voyant que le garçon n'approchait pas, Garin lui fit signe de venir vers lui et l’invita à entrer dans la pièce principale de sa demeure. Thiess reprit son sac et s'avança doucement, il était impressionné par l'aura qui se dégageait de l'homme qui lui faisait face.
Garin fit asseoir Thiess devant la cheminée qu'il venait d'attiser et lui servit une écuelle du gruau qui se maintenait au chaud près du foyer. Ils profitèrent de ce frugal repas pour faire un peu plus connaissance, et Garin expliqua à Thiess ce qu'il attendait de lui, ce qu'il allait lui apprendre, lui dit que s'il restait, il devait s'engager à demeurer avec lui jusqu'à ce qu'il lui dise que son apprentissage était achevé, ce qui prendrait quelques années. Ce qui prendrait six ans, tout juste six ans.
Thiess, enthousiaste, accepta la proposition de Garin et s’installa alors dans la maison. Elle était petite mais suffisante pour qu'ils puissent y vivre l'un à côté de l'autre. Thiess occupa une petite chambre située dans les combles, tandis que Garin restait à côté de la pièce principale où il confectionnait également ses potions.
Le jour même Thiess commença à observer Garin, sa façon de découper et d'utiliser les plantes. À mesure qu'il avançait dans ses préparations, Garin nommait les plantes, expliquait leurs vertus, le pourquoi de leur association et les instruments utilisés pour les découper ou les préparer.
Thiess était toujours aux côtés de Garin, il l'aidait pour les cueillettes, les préparations, l'accueil des visiteurs. Il ne tarda pas à faire connaissance avec Aleth, elle s’approcha de la clairière assez rapidement après l'arrivée du garçon. Comme souvent, elle semblait de mauvaise humeur, mais quand elle vit Thiess de loin, ses yeux étincelèrent, le garçon eut l'impression que tout son être dégageait une force irréelle. Elle fut ensuite d'excellente humeur. Elle revint souvent les observer, elle semblait surveiller l'évolution de Thiess. Après chacune de ses visites, Garin paraissait plus fatigué, comme vidé de son énergie.
Au fil des années, Garin transmit son savoir à Thiess doucement. Celui-ci commença par observer les gestes de son aîné, puis insensiblement, Garin lui confiait des tâches, d'abord de toutes simples, puis des un peu plus compliquées pour aller vers les plus complexes. Le jeune homme prit peu à peu de l'assurance, tant pour reconnaître et cueillir les plantes que pour les utiliser.
Garin, qui à l’arrivée du jeune homme semblait fatigué et vieux, paraissait retrouver sa jeunesse et sa vitalité à son contact. D’adolescent pataud, Thiess se transforma progressivement en jeune homme à l’allure féline, plus sûr de lui, toujours joyeux et volontaire. La relation entre les deux herboristes évolua parallèlement à ces changements, de celle de maître à élève, à celle de père à fils, pour arriver à une amitié profonde. Ils se comprenaient pratiquement sans se parler, un simple regard suffisait pour que l’un sache ce que l’autre désirait ou ce dont il avait besoin, ils éprouvaient de la tendresse l’un pour l’autre. Garin gardait continuellement un œil protecteur sur le garçon.
Un jour, Thiess demanda à Garin pourquoi ils ne sortaient jamais de la clairière, pourquoi ils n'allaient jamais soigner les gens chez eux, pourquoi ils n'allaient pas cueillir les plantes plus loin. Garin parut un peu gêné puis lui dit que ça avait toujours été comme cela, qu'ils n'avaient pas à aller plus loin, qu'Arnulf avait fait de même, ainsi que son maître avant lui, et celui qui avait enseigné les plantes à celui-ci également, et ce depuis des lustres, depuis la première installation d’un herboriste à cet endroit. La clairière était leur domaine, ils n'avaient pas à en sortir. Ils ne devaient pas en sortir.
Bien qu’un peu perplexe, Thiess accepta l’explication de Garin. Cependant, parfois son regard se perdait au loin, comme s’il avait envie d’aller parcourir le monde, mais très vite il se reprenait. Garin s’était néanmoins aperçu de cela. La première fois, il crut qu’il avait vu quelque chose de particulier, et dirigea son regard dans la même direction que le garçon, mais il ne vit rien. Il lui demanda alors, un peu inquiet, s’il avait envie de le quitter, ce à quoi Thiess répondit que non en lui souriant. Un sourire lumineux et confiant qui rassura Garin.
Plus la fin de l’apprentissage de Thiess approchait, plus Aleth, agitée, rôdait aux abords de la clairière et de leur maison, et plus Garin se montrait anxieux. Souvent il lui parlait, en lisière de la forêt, paraissant vouloir la tenir éloignée. Il confiait également de plus en plus de tâches à Thiess à l’intérieur de la maison. Le jeune homme sentait son maître soucieux, tendu.
Un matin, Aleth, qui semblait encore plus excitée qu’habituellement, voulut s’approcher de la maison dans laquelle Thiess travaillait à une potion. Garin alla précipitamment à sa rencontre. Le jeune homme curieux, s’éloigna de sa préparation pour tenter d’entendre leur conversation à travers les volets clos, tant l’attitude de cette femme et celle de Garin lui paraissait bizarre. Il ne parvint pas à tout entendre, seulement une réponse de Garin signifiant de manière quelque peu brusque à Aleth que le temps n’était pas encore venu, qu’elle devait patienter.
Tous les jours elle était là, tous les jours Garin allait lui parler pour l’éloigner, tous les jours Thiess se demandait pourquoi elle insistait autant. Elle se faisait de plus en plus pressante et insistante. Garin la surveillait et semblait s’angoisser de plus en plus. Il regardait Thiess, tendu, sombre, tentant de le tenir à l’écart discrètement, de plus en plus protecteur avec lui.
Un soir, à la tombée de la nuit, Garin, fébrile, alla vers Thiess et lui demanda s’il voulait bien lui rendre un service. Thiess accepta, ravi de pouvoir aider l’homme qu’il admirait. Cependant, la requête de Garin surprit le jeune homme. Il lui demanda de quitter la clairière pour aller dans une province lointaine afin d’aller demander à Arnulf une plante qu’il ne trouvait pas sur place, que c’était urgent et de partir immédiatement, la nuit, en faisant le moins de bruit possible. Thiess, étonné, s’enquit du pourquoi de tant de précautions. Garin esquiva la question, en poussant presque le jeune homme pour qu’il parte plus vite, lui jetant quasiment dans les bras un baluchon qu’il avait préparé sans qu’il s’en aperçoive.
Bien que médusé par son attitude, Thiess lui obéit. Il partit, sortit de la clairière, ce qui ne lui était pas arrivé depuis six ans, depuis qu’il était arrivé. Il suivit la direction que Garin lui avait indiqué, lui signifiant qu’il pourrait sans doute trouver Arnulf à deux semaines de marche, et que s’il n’arrivait pas à le dénicher, il pourrait faire ce qu’il voulait, soit explorer le monde, soit revenir dans leur maison. Arrivé en bas de la colline, il s’arrêta et se retourna, il avait envie de faire demi-tour et de retrouver Garin, il allait lui manquer. Il esquissa une volte-face, puis la suspendit et reprit sa route, il ne voulait pas décevoir Garin. Thiess marcha sans plus s’arrêter toute la nuit et une partie de la matinée.
Après son départ, Garin alla en lisière de la clairière, son regard se perdit sur l’horizon. Il resta ainsi toute la nuit, craignant que le jeune homme revienne sur ses pas. À l’aube, il se sentit rassuré, Thiess devait être loin à présent. Un sourire se dessina sur le visage du mentor du jeune homme. Il était content de lui, il pouvait attendre sereinement la suite des événements. Jetant un dernier regard vers la plaine, il retourna vers la maison, apaisé.
Il n’eut pas le temps d’arriver à la porte, qu’Aleth était derrière lui. Elle avait un regard pénétrant et un sourire carnassier. Elle lui dit que le temps était enfin venu, elle le poussa et entra dans la maison. Garin recula un peu, attendant la suite inéluctable. Il entendit Aleth fouiller la maison, renverser ce qu’elle trouvait sur son passage, hurler sa rage. Elle ressortit déchaînée, ses yeux lançaient des éclairs, sa bouche n’était plus qu’un rictus, toute beauté avait quitté son visage.
Avec fureur elle exigea des explications. Où était le garçon ? Où était sa proie ? Elle s’approcha plus près de Garin. Celui-ci, bien qu’impressionné par son hystérie, lui tint tête, il était sûr de lui et parfaitement serein. Il lui expliqua que Thiess était parti, qu’il était trop tard, qu’elle ne pourrait le prendre lui aussi, qu’il ne serait pas prisonnier de la clairière, qu’elle ne pourrait plus se régénérer avec la force vitale et l’âme des jeunes hommes. Thiess était libre désormais, il avait été un don de la nature pour lui, et il avait réussi à le soustraire à la puissance d’Aleth, tout était fini pour elle.
Dans un accès de rage, Aleth hurla de plus belle. Une force phénoménale et ultime se dégagea de tout son être, l’enflammant sur place. Une explosion colossale, une lumière irréelle se produisirent brusquement. Les animaux de la clairière et de la forêt alentour s’enfuirent apeurés. Dans la plaine, les villageois entendirent la détonation, virent un énorme éclair et crurent à un orage terrible. Le calme revint immédiatement, les animaux regagnèrent les lieux précautionneusement quelques heures plus tard. La clairière était étrangement paisible, seule la poussière jouait avec la lumière, virevoltait en volutes silencieuses.
Thiess, déjà loin à ce moment-là, n’entendit qu’un lointain grondement, il sursauta, s'immobilisa, le souffle coupé, une angoisse sourde en lui, mais ne se retourna pas. En milieu de matinée, il s’arrêta pour se reposer un peu et se restaurer. Il se retourna vers la colline de Dubh qu’il voyait encore. Elle était sombre et belle de loin, il soupira, il avait déjà hâte de retrouver la clairière et Garin. Il repensa à ce qu’il avait entendu le matin, il fixa la colline, tenta de repérer la clairière mais n’y parvint pas, il hésita puis repartit, Garin lui avait confié une mission, il allait la remplir au mieux.
Thiess mit plus de deux semaines pour atteindre la province que lui avait indiquée Garin. Pendant des jours il chercha à retrouver Arnulf sans y parvenir. Il parcourut la région dans tous les sens sans jamais croiser quelqu’un qui le connaissait. Découragé, il décida de rentrer à la clairière, espérant que Garin ne serait pas trop déçu qu’il ne lui ramène pas la plante dont il avait besoin. Il lui fallut encore près de deux semaines pour revenir au pied de la colline de Dubh. Le retour fut cependant plus rapide et joyeux, tant Thiess se réjouissait de retrouver la maison et Garin qui lui manquait.
La nuit était déjà tombée depuis longtemps quand il parvint au pied de la colline. Malgré la fatigue, Thiess entreprit l’ascension, impatient d’arriver. La joie de revoir la clairière et Garin le galvanisait. Il arriva à la lisière de la clairière au petit matin. Il s’attendait à trouver la maison encore fermée ou Garin en train de l’ouvrir, mais ce qu’il vit le figea sur place. La maison paraissait abandonnée, la porte était entrouverte, un volet battait au vent, les herbes folles semblaient gagner du terrain.
Thiess lâcha son sac et se précipita à l’intérieur de la maisonnette. Un écureuil s’enfuit à son entrée, il avait trouvé refuge à l’intérieur de la pièce principale. Il trouva la moitié du mobilier renversé, parfois cassé, les instruments balayés, brisés, le feu éteint depuis bien longtemps, des feuilles mortes sur le sol. Nerveux, il pénétra dans la petite pièce qui servait de chambre à Garin s’attendant à le trouver alité, malade ou pire encore. Mais sa couche était vide, intacte. Il chercha nerveux dans tous les coins des indices, appelant Garin, de plus en plus affolé.
Rien, il ne trouva rien. Thiess ressortit de la maison, abattu, Garin l’avait abandonné. Les larmes aux yeux il traversa la clairière. Il s’arrêta brusquement, voyant au sol ce qui lui avait échappé dans le soleil levant. Il distingua deux cercles, l’un à côté de l’autre. À la surface du plus grand, irrégulier, la terre était noire, comme brûlée. Il ressentit un certain malaise en la touchant. L’autre cercle, régulier, n’était pas calciné, mais l’herbe n’y poussait pas, il semblait infertile. Au centre de ce petit périmètre, une pierre était posée. Thiess se baissa, caressa le sol lisse et doux, il se sentit un peu mieux, comme rassuré.
Triste, il se dirigea à nouveau vers la maison, entra dans la pièce principale et commença à remettre de l’ordre. Il passa la matinée à ranger et faire le tri de ce qui était cassé. Fatigué, il décida de prendre un peu de repos et monta dans sa chambre où il n’était pas encore allé. Il s’apprêtait à se laisser tomber sur son lit quand il vit qu’un carnet y était posé. Le carnet de Garin sur lequel il l’avait vu écrire parfois, plus particulièrement et frénétiquement la dernière semaine qu’il était là.
Il descendit et s’assit sur le seuil de la maison et ouvrit le carnet. Il y trouva plusieurs écritures, des formules, des notes sur des plantes, des potions. Il feuilleta un peu distraitement jusqu’à ce qu’il se rende compte que les écrits ne concernaient plus les herbes médicinales. Il lut plus attentivement le texte.
C’était l’écriture de Garin, il la reconnaissait. Il s’intéressa de plus près à son contenu, le carnet faillit lui tomber des mains. Il comprit, il comprit alors pourquoi Garin ne sortait jamais de la clairière, le rôle d’Aleth l’esprit maléfique de la forêt, la malédiction pesant sur les générations d’herboristes ayant vécu ici. Il réalisa surtout que Garin avait brisé le maléfice en le faisant partir la nuit précédant le jour où il devait, lui, être touché par ce maléfice. Plus personne n’en souffrirait, Garin le lui assurait aux dernières lignes, il était désormais libre, libre de rester ou de partir où et quand il le désirait. Plus personne ne serait prisonnier de la clairière.
Thiess se releva. Une immense tristesse l’habitait, il avait compris qu’il ne reverrait plus Garin, qu’il devrait vivre sans lui, qu’il s’était sacrifié pour lui. Ses pas le dirigèrent vers le cercle vide, mais où il avait ressenti du bien-être. Il s’y sentait bien. Il s’assit par terre, en posant sa main sur le sol, il toucha la petite pierre. Il la prit machinalement dans sa main et la regarda. Des larmes coulèrent sur ses joues. Sur une des faces de la pierre, il avait vu une forme gravée, un petit papillon avec une aile atrophiée. Thiess serra la pierre dans sa main et la porta à son cœur.
Jamais il n’oublierait Garin.
Garin occupait une petite maison adossée à la colline de Dubh, à l’écart des villages alentour, depuis près d’une vingtaine d’années. Elle se situait dans une petite clairière ensoleillée, à l’herbe douce et légère, parsemée de fleurs délicates et colorées, parmi lesquels gambadaient joyeusement quelques animaux sauvages d’ordinaire craintifs.
Garin était arrivé dans cette maison pour ses quinze ans, lorsqu’il était devenu l’apprenti d’Arnulf qui lui avait enseigné tout ce qu’il savait sur les plantes et l’art de les utiliser. Le jour de ses 21 ans, Arnulf lui avait laissé la maisonnette, les plantes, le jardin et la clairière à entretenir, ainsi que ses instruments et ustensiles pour préparer les décoctions. Arnulf était alors parti, joyeux, avec seulement une besace pleine de plantes et quelques pièces.
Garin avait alors, à contrecœur, pris la place d’Arnulf dans la maison et auprès des habitants des villages voisins pour qui il préparait philtres et potions. Il continua à exercer son art, à récolter plantes et fruits sauvages pour ses préparations, à cultiver le petit jardin de simples, et à capturer les insectes ou asticots qui lui servaient également. Toujours il restait aux alentours de la maison, sans sortir de la clairière où il trouvait tout ce qu’il lui fallait.
Il n’entretenait pas de réelles relations avec les villageois qui avaient peur de lui et ne venaient le voir que s’ils avaient vraiment besoin de ses services. Seule Aleth n’éprouvait pas de frayeur et s’approchait sans crainte de la clairière, très souvent. Aleth était une jeune femme éthérée, d’une beauté éblouissante, mais au regard froid et dur, à la voix métallique, à la bouche méprisante. Elle connaissait tout ce qu’il y avait à savoir sur la forêt, elle était la forêt en quelque sorte.
À l’approche de ses 35 ans, Garin sut qu’il allait devoir transmettre son art, comme Arnulf l’avait fait avec lui. Aleth lui en parlait depuis quelques temps, le poussant à choisir un disciple, mais Garin hésitait. Aleth mit le doigt sur sa santé qui allait décliner et son savoir qui allait se perdre s’il ne trouvait pas quelqu’un au plus vite. Garin finit par se rendre à son avis, son art ne s’apprenait pas en quelques jours, cela nécessiterait un long apprentissage pour que le futur mage soit suffisamment aguerri pour prendre sa suite.
Peu de temps après, une femme vint chercher des remèdes. Elle était accompagnée de ses enfants, une fille et un garçon d’une quinzaine d’années environ chacun. La jeune fille semblait terrorisée, et ne quittait pas sa mère, inquiète. Le garçon quant à lui paraissait curieux de tout, son regard vagabondait et se posait dans tous les coins. Garin remarqua la curiosité du garçon et au détour de la conversation, lui demanda s’il aimerait apprendre son art avec lui.
Le garçon, Thiess, fut ravi de cette proposition, bien plus que sa mère qui elle était très réticente. Elle ne voulait pas que son fils vienne vivre dans cet endroit isolé et devienne le disciple de cet homme qu’elle craignait, tant à cause de son art que de son aspect physique, une tache de naissance en forme de papillon avec une aile atrophiée se trouvait sous son œil droit et lui donnait un regard particulier. De retour chez eux, d’âpres discussions virent le jour entre la mère et le fils. L’envie du garçon de partir et d’apprendre le métier avec Garin ne faisait qu’amplifier.
La veille de son anniversaire, après une énième dispute, Thiess prépara un petit baluchon en cachette. La nuit, quand ses parents et sa sœur furent endormis, il se glissa discrètement hors de la maison. Il partit en direction de la colline pour rejoindre la clairière de Garin par laquelle il se sentait irrésistiblement attiré. Il y arriva au petit matin, le soleil commençait tout juste à effleurer l’herbe douce de la clairière. Les animaux sauvages se réveillaient de leur nuit paisible. La vie reprenait doucement dans le petit coin de forêt.
Thiess s’arrêta sur le bord de la clairière, il se tenait très raide. Il n’osait s’avancer plus près de la petite maison. Il avait peur que Garin ne l’ait pas attendu et qu’il ait déjà pris un autre apprenti. Le soleil montait doucement sur l’horizon, derrière Thiess. La petite maison était encore close, ce qui lui parut inhabituel, bizarre.
Un moment plus tard, un Garin visiblement fatigué ouvrit lentement les volets. Il leva la tête. Étonné, il suspendit un instant son geste. Une silhouette se tenait devant le soleil levant, de telle sorte qu’il avait l’impression qu’elle irradiait. Garin plissa les yeux, puis un sourire se dessina sur ses lèvres, il venait de reconnaître le garçon.
Thiess s'approcha timidement, un peu emprunté. Il déposa son maigre bagage sur l'herbe douce tandis que Garin finissait d'ouvrir sa maison en grand. Voyant que le garçon n'approchait pas, Garin lui fit signe de venir vers lui et l’invita à entrer dans la pièce principale de sa demeure. Thiess reprit son sac et s'avança doucement, il était impressionné par l'aura qui se dégageait de l'homme qui lui faisait face.
Garin fit asseoir Thiess devant la cheminée qu'il venait d'attiser et lui servit une écuelle du gruau qui se maintenait au chaud près du foyer. Ils profitèrent de ce frugal repas pour faire un peu plus connaissance, et Garin expliqua à Thiess ce qu'il attendait de lui, ce qu'il allait lui apprendre, lui dit que s'il restait, il devait s'engager à demeurer avec lui jusqu'à ce qu'il lui dise que son apprentissage était achevé, ce qui prendrait quelques années. Ce qui prendrait six ans, tout juste six ans.
Thiess, enthousiaste, accepta la proposition de Garin et s’installa alors dans la maison. Elle était petite mais suffisante pour qu'ils puissent y vivre l'un à côté de l'autre. Thiess occupa une petite chambre située dans les combles, tandis que Garin restait à côté de la pièce principale où il confectionnait également ses potions.
Le jour même Thiess commença à observer Garin, sa façon de découper et d'utiliser les plantes. À mesure qu'il avançait dans ses préparations, Garin nommait les plantes, expliquait leurs vertus, le pourquoi de leur association et les instruments utilisés pour les découper ou les préparer.
Thiess était toujours aux côtés de Garin, il l'aidait pour les cueillettes, les préparations, l'accueil des visiteurs. Il ne tarda pas à faire connaissance avec Aleth, elle s’approcha de la clairière assez rapidement après l'arrivée du garçon. Comme souvent, elle semblait de mauvaise humeur, mais quand elle vit Thiess de loin, ses yeux étincelèrent, le garçon eut l'impression que tout son être dégageait une force irréelle. Elle fut ensuite d'excellente humeur. Elle revint souvent les observer, elle semblait surveiller l'évolution de Thiess. Après chacune de ses visites, Garin paraissait plus fatigué, comme vidé de son énergie.
Au fil des années, Garin transmit son savoir à Thiess doucement. Celui-ci commença par observer les gestes de son aîné, puis insensiblement, Garin lui confiait des tâches, d'abord de toutes simples, puis des un peu plus compliquées pour aller vers les plus complexes. Le jeune homme prit peu à peu de l'assurance, tant pour reconnaître et cueillir les plantes que pour les utiliser.
Garin, qui à l’arrivée du jeune homme semblait fatigué et vieux, paraissait retrouver sa jeunesse et sa vitalité à son contact. D’adolescent pataud, Thiess se transforma progressivement en jeune homme à l’allure féline, plus sûr de lui, toujours joyeux et volontaire. La relation entre les deux herboristes évolua parallèlement à ces changements, de celle de maître à élève, à celle de père à fils, pour arriver à une amitié profonde. Ils se comprenaient pratiquement sans se parler, un simple regard suffisait pour que l’un sache ce que l’autre désirait ou ce dont il avait besoin, ils éprouvaient de la tendresse l’un pour l’autre. Garin gardait continuellement un œil protecteur sur le garçon.
Un jour, Thiess demanda à Garin pourquoi ils ne sortaient jamais de la clairière, pourquoi ils n'allaient jamais soigner les gens chez eux, pourquoi ils n'allaient pas cueillir les plantes plus loin. Garin parut un peu gêné puis lui dit que ça avait toujours été comme cela, qu'ils n'avaient pas à aller plus loin, qu'Arnulf avait fait de même, ainsi que son maître avant lui, et celui qui avait enseigné les plantes à celui-ci également, et ce depuis des lustres, depuis la première installation d’un herboriste à cet endroit. La clairière était leur domaine, ils n'avaient pas à en sortir. Ils ne devaient pas en sortir.
Bien qu’un peu perplexe, Thiess accepta l’explication de Garin. Cependant, parfois son regard se perdait au loin, comme s’il avait envie d’aller parcourir le monde, mais très vite il se reprenait. Garin s’était néanmoins aperçu de cela. La première fois, il crut qu’il avait vu quelque chose de particulier, et dirigea son regard dans la même direction que le garçon, mais il ne vit rien. Il lui demanda alors, un peu inquiet, s’il avait envie de le quitter, ce à quoi Thiess répondit que non en lui souriant. Un sourire lumineux et confiant qui rassura Garin.
Plus la fin de l’apprentissage de Thiess approchait, plus Aleth, agitée, rôdait aux abords de la clairière et de leur maison, et plus Garin se montrait anxieux. Souvent il lui parlait, en lisière de la forêt, paraissant vouloir la tenir éloignée. Il confiait également de plus en plus de tâches à Thiess à l’intérieur de la maison. Le jeune homme sentait son maître soucieux, tendu.
Un matin, Aleth, qui semblait encore plus excitée qu’habituellement, voulut s’approcher de la maison dans laquelle Thiess travaillait à une potion. Garin alla précipitamment à sa rencontre. Le jeune homme curieux, s’éloigna de sa préparation pour tenter d’entendre leur conversation à travers les volets clos, tant l’attitude de cette femme et celle de Garin lui paraissait bizarre. Il ne parvint pas à tout entendre, seulement une réponse de Garin signifiant de manière quelque peu brusque à Aleth que le temps n’était pas encore venu, qu’elle devait patienter.
Tous les jours elle était là, tous les jours Garin allait lui parler pour l’éloigner, tous les jours Thiess se demandait pourquoi elle insistait autant. Elle se faisait de plus en plus pressante et insistante. Garin la surveillait et semblait s’angoisser de plus en plus. Il regardait Thiess, tendu, sombre, tentant de le tenir à l’écart discrètement, de plus en plus protecteur avec lui.
Un soir, à la tombée de la nuit, Garin, fébrile, alla vers Thiess et lui demanda s’il voulait bien lui rendre un service. Thiess accepta, ravi de pouvoir aider l’homme qu’il admirait. Cependant, la requête de Garin surprit le jeune homme. Il lui demanda de quitter la clairière pour aller dans une province lointaine afin d’aller demander à Arnulf une plante qu’il ne trouvait pas sur place, que c’était urgent et de partir immédiatement, la nuit, en faisant le moins de bruit possible. Thiess, étonné, s’enquit du pourquoi de tant de précautions. Garin esquiva la question, en poussant presque le jeune homme pour qu’il parte plus vite, lui jetant quasiment dans les bras un baluchon qu’il avait préparé sans qu’il s’en aperçoive.
Bien que médusé par son attitude, Thiess lui obéit. Il partit, sortit de la clairière, ce qui ne lui était pas arrivé depuis six ans, depuis qu’il était arrivé. Il suivit la direction que Garin lui avait indiqué, lui signifiant qu’il pourrait sans doute trouver Arnulf à deux semaines de marche, et que s’il n’arrivait pas à le dénicher, il pourrait faire ce qu’il voulait, soit explorer le monde, soit revenir dans leur maison. Arrivé en bas de la colline, il s’arrêta et se retourna, il avait envie de faire demi-tour et de retrouver Garin, il allait lui manquer. Il esquissa une volte-face, puis la suspendit et reprit sa route, il ne voulait pas décevoir Garin. Thiess marcha sans plus s’arrêter toute la nuit et une partie de la matinée.
Après son départ, Garin alla en lisière de la clairière, son regard se perdit sur l’horizon. Il resta ainsi toute la nuit, craignant que le jeune homme revienne sur ses pas. À l’aube, il se sentit rassuré, Thiess devait être loin à présent. Un sourire se dessina sur le visage du mentor du jeune homme. Il était content de lui, il pouvait attendre sereinement la suite des événements. Jetant un dernier regard vers la plaine, il retourna vers la maison, apaisé.
Il n’eut pas le temps d’arriver à la porte, qu’Aleth était derrière lui. Elle avait un regard pénétrant et un sourire carnassier. Elle lui dit que le temps était enfin venu, elle le poussa et entra dans la maison. Garin recula un peu, attendant la suite inéluctable. Il entendit Aleth fouiller la maison, renverser ce qu’elle trouvait sur son passage, hurler sa rage. Elle ressortit déchaînée, ses yeux lançaient des éclairs, sa bouche n’était plus qu’un rictus, toute beauté avait quitté son visage.
Avec fureur elle exigea des explications. Où était le garçon ? Où était sa proie ? Elle s’approcha plus près de Garin. Celui-ci, bien qu’impressionné par son hystérie, lui tint tête, il était sûr de lui et parfaitement serein. Il lui expliqua que Thiess était parti, qu’il était trop tard, qu’elle ne pourrait le prendre lui aussi, qu’il ne serait pas prisonnier de la clairière, qu’elle ne pourrait plus se régénérer avec la force vitale et l’âme des jeunes hommes. Thiess était libre désormais, il avait été un don de la nature pour lui, et il avait réussi à le soustraire à la puissance d’Aleth, tout était fini pour elle.
Dans un accès de rage, Aleth hurla de plus belle. Une force phénoménale et ultime se dégagea de tout son être, l’enflammant sur place. Une explosion colossale, une lumière irréelle se produisirent brusquement. Les animaux de la clairière et de la forêt alentour s’enfuirent apeurés. Dans la plaine, les villageois entendirent la détonation, virent un énorme éclair et crurent à un orage terrible. Le calme revint immédiatement, les animaux regagnèrent les lieux précautionneusement quelques heures plus tard. La clairière était étrangement paisible, seule la poussière jouait avec la lumière, virevoltait en volutes silencieuses.
Thiess, déjà loin à ce moment-là, n’entendit qu’un lointain grondement, il sursauta, s'immobilisa, le souffle coupé, une angoisse sourde en lui, mais ne se retourna pas. En milieu de matinée, il s’arrêta pour se reposer un peu et se restaurer. Il se retourna vers la colline de Dubh qu’il voyait encore. Elle était sombre et belle de loin, il soupira, il avait déjà hâte de retrouver la clairière et Garin. Il repensa à ce qu’il avait entendu le matin, il fixa la colline, tenta de repérer la clairière mais n’y parvint pas, il hésita puis repartit, Garin lui avait confié une mission, il allait la remplir au mieux.
Thiess mit plus de deux semaines pour atteindre la province que lui avait indiquée Garin. Pendant des jours il chercha à retrouver Arnulf sans y parvenir. Il parcourut la région dans tous les sens sans jamais croiser quelqu’un qui le connaissait. Découragé, il décida de rentrer à la clairière, espérant que Garin ne serait pas trop déçu qu’il ne lui ramène pas la plante dont il avait besoin. Il lui fallut encore près de deux semaines pour revenir au pied de la colline de Dubh. Le retour fut cependant plus rapide et joyeux, tant Thiess se réjouissait de retrouver la maison et Garin qui lui manquait.
La nuit était déjà tombée depuis longtemps quand il parvint au pied de la colline. Malgré la fatigue, Thiess entreprit l’ascension, impatient d’arriver. La joie de revoir la clairière et Garin le galvanisait. Il arriva à la lisière de la clairière au petit matin. Il s’attendait à trouver la maison encore fermée ou Garin en train de l’ouvrir, mais ce qu’il vit le figea sur place. La maison paraissait abandonnée, la porte était entrouverte, un volet battait au vent, les herbes folles semblaient gagner du terrain.
Thiess lâcha son sac et se précipita à l’intérieur de la maisonnette. Un écureuil s’enfuit à son entrée, il avait trouvé refuge à l’intérieur de la pièce principale. Il trouva la moitié du mobilier renversé, parfois cassé, les instruments balayés, brisés, le feu éteint depuis bien longtemps, des feuilles mortes sur le sol. Nerveux, il pénétra dans la petite pièce qui servait de chambre à Garin s’attendant à le trouver alité, malade ou pire encore. Mais sa couche était vide, intacte. Il chercha nerveux dans tous les coins des indices, appelant Garin, de plus en plus affolé.
Rien, il ne trouva rien. Thiess ressortit de la maison, abattu, Garin l’avait abandonné. Les larmes aux yeux il traversa la clairière. Il s’arrêta brusquement, voyant au sol ce qui lui avait échappé dans le soleil levant. Il distingua deux cercles, l’un à côté de l’autre. À la surface du plus grand, irrégulier, la terre était noire, comme brûlée. Il ressentit un certain malaise en la touchant. L’autre cercle, régulier, n’était pas calciné, mais l’herbe n’y poussait pas, il semblait infertile. Au centre de ce petit périmètre, une pierre était posée. Thiess se baissa, caressa le sol lisse et doux, il se sentit un peu mieux, comme rassuré.
Triste, il se dirigea à nouveau vers la maison, entra dans la pièce principale et commença à remettre de l’ordre. Il passa la matinée à ranger et faire le tri de ce qui était cassé. Fatigué, il décida de prendre un peu de repos et monta dans sa chambre où il n’était pas encore allé. Il s’apprêtait à se laisser tomber sur son lit quand il vit qu’un carnet y était posé. Le carnet de Garin sur lequel il l’avait vu écrire parfois, plus particulièrement et frénétiquement la dernière semaine qu’il était là.
Il descendit et s’assit sur le seuil de la maison et ouvrit le carnet. Il y trouva plusieurs écritures, des formules, des notes sur des plantes, des potions. Il feuilleta un peu distraitement jusqu’à ce qu’il se rende compte que les écrits ne concernaient plus les herbes médicinales. Il lut plus attentivement le texte.
C’était l’écriture de Garin, il la reconnaissait. Il s’intéressa de plus près à son contenu, le carnet faillit lui tomber des mains. Il comprit, il comprit alors pourquoi Garin ne sortait jamais de la clairière, le rôle d’Aleth l’esprit maléfique de la forêt, la malédiction pesant sur les générations d’herboristes ayant vécu ici. Il réalisa surtout que Garin avait brisé le maléfice en le faisant partir la nuit précédant le jour où il devait, lui, être touché par ce maléfice. Plus personne n’en souffrirait, Garin le lui assurait aux dernières lignes, il était désormais libre, libre de rester ou de partir où et quand il le désirait. Plus personne ne serait prisonnier de la clairière.
Thiess se releva. Une immense tristesse l’habitait, il avait compris qu’il ne reverrait plus Garin, qu’il devrait vivre sans lui, qu’il s’était sacrifié pour lui. Ses pas le dirigèrent vers le cercle vide, mais où il avait ressenti du bien-être. Il s’y sentait bien. Il s’assit par terre, en posant sa main sur le sol, il toucha la petite pierre. Il la prit machinalement dans sa main et la regarda. Des larmes coulèrent sur ses joues. Sur une des faces de la pierre, il avait vu une forme gravée, un petit papillon avec une aile atrophiée. Thiess serra la pierre dans sa main et la porta à son cœur.
Jamais il n’oublierait Garin.
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