La Princesse et la Grenouille
Mar 12 Nov 2024 - 20:22
La Princesse et la Grenouille
Il y a bien longtemps, dans le royaume d’Aquileo vivait le débonnaire roi Cathness, avec ses deux filles Yuki et Noey. L’aînée, Yuki, était une jolie Princesse au caractère affirmé, très vive et pleine de gaieté. Sa jeune sœur, de cinq ans sa cadette, enviait sa beauté, bien qu’elle-même soit ravissante. Le roi Cathness, se désespérait pour sa fille aînée qu’il n’arrivait pas à marier, aucun Prince n’acceptait d’en faire son épouse, au grand dam de celle-ci. En effet la jeune fille, beaucoup trop indépendante et franche, faisait fuir les prétendants cherchant une épouse soumise et effacée. La jalouse Noey, se réjouissait en secret des déconvenues maritales de sa sœur aînée. Elle espérait convoler avant elle, lui interdisant ainsi un futur mariage et l’accession au trône après le décès de leur père. Noey avait des vues sur le Prince d’un royaume voisin, le Prince Aubin, aussi ambitieux que la belle et qui n’attendait que son feu vert, et la majorité de celle-ci, deux mois plus tard, pour demander sa main au Roi Cathness. Celui-ci, ayant eu vent de la future demande du Prince Aubin, décida de tout faire pour trouver enfin un époux à sa fille préférée, la pétillante Yuki.
Il convoqua les Princes des royaumes alentours. Hélas beaucoup connaissaient déjà la Princesse et peu d’entre eux se laissèrent convaincre de venir au grand bal que le Roi avait organisé pour que sa fille rencontre les jeunes hommes. Tous devaient arriver dans le royaume la veille du Bal, et devaient patienter dans le château de Viridis, à quelques lieues du Palais royal, pour arriver en convoi tous en même temps, formant ainsi un cortège, digne d’une future reine. Malgré le petit nombre de prétendants, le Roi se réjouissait de pouvoir enfin choisir son futur gendre. Noey en apparence contente pour sa sœur bouillait intérieurement d’une jalousie qui la rendait malade. Elle s’en ouvrit à sa tante, la terrible Princesse Emmmmma qui détestait cordialement sa nièce Yuki. Emmmmma était la plus jeune sœur du Roi, et elle avait le même caractère que sa nièce Noey, de qui elle était très proche.
- Ne t’inquiète pas Noey, nous ne laisserons pas ta gourde de sœur trouver un époux.
- Mais tante Emmmmma, les Princes arrivent aujourd’hui au château de Viridis, on ne peut plus leur envoyer de messager pour annuler le Bal, répondit Noey désespérée.
- Ils sont peut-être là, mais aucun n’épousera cette petite dinde, ah non, ce sera toi la reine, je t’en fais le serment. Les Princes doivent disparaître au plus vite.
- Mais on ne peut pas les tuer, cela provoquerait immanquablement des guerres et notre royaume disparaîtrait, et pour que je devienne reine si on n’a plus de pays, alors là bernique.
- Qui parle de les tuer ? J’ai dit disparaître…
Sans plus attendre, Emmmmma entraîna sa nièce dans de sombres ruelles que la jeune fille ne connaissait pas. Elle toqua à une porte à moitié dégondée. Une vieille femme vint leur ouvrir et les fit entrer dans la maison miteuse.
- Que me vaut l’honneur de votre visite Princesse Emmmmma, demanda la vieille en les scrutant de son regard pénétrant.
- Filoudor, il faut absolument que les cinq Princes étrangers qui logeront dès ce soir au Château de Viridis, disparaissent de la circulation.
- Oh, un quintuple meurtre, cela va vous revenir très cher, Princesse.
- Mais enfin, qu’est-ce que vous avez toutes avec les meurtres ? Je ne veux pas qu’ils meurent, je veux qu’ils ne puissent plus épouser ma nièce.
- Vous ne désirez plus vous marier, jolie jeune fille ? reprit la vieille, en passant son doigt déformé et sale sous le menton de Noey, qui du coup se recula en grimaçant.
- Pas elle, sa bécasse de sœur, soupira Emmmmma.
- Et où sont ces cinq jouvenceaux ?
- Jouvenceaux, c’est vite dit, des laissés pour compte en mal de beau parti plutôt oui, marmonna Noey plus renfrognée que jamais.
- Au château de Viridis, il faudrait que ce soit réglé ce soir, reprit Emmmmma.
- Oui, je vois… Vous allez leur faire boire une petite potion de mon cru, déclara la sorcière Filoudor en lui remettant un flacon rempli de liquide rouge.
- Et que leur arrivera-t-il ? demanda Emmmmma perplexe en tournant la fiole entre ses doigts.
- Oh, presque rien, ils vont juste devenir très… bondissants, ricana Filoudor.
- Bondissants ? s’étonna Emmmmma, je ne vois pas en quoi cela les empêcherait d’épouser cette cruche de Yuki.
- Il faudrait qu’elle aime les petits animaux verts gluants et qu’elle prenne plaisir à leur donner un baiser, s’esclaffa la vieille.
- Des grenouilles ? avança Emmmmma un sourire mauvais au coin des lèvres.
La sorcière partit alors d’un rire démoniaque, vite rejointe dans cette gaieté mauvaise par les deux femmes de sang royal.
Emmmmma et Noey, partirent donc vers le château de Viridis, elles y accueillirent les Princes fraîchement arrivés. Pour leur "souhaiter" la bienvenue, elles leur proposèrent des rafraîchissements. Tandis que Noey discutait avec les jeunes hommes, Emmmmma se rendit aux cuisines pour donner des ordres. Une jeune servante du nom de Dasleben, la suivit, un plateau, rempli de gobelets en étain et d’un pichet de vin, dans ses frêles mains. Une fois le plateau posé sur la table, la Princesse renvoya la jeune fille aux cuisines, préférant servir les Princes elle-même. Dasleben, surprise de cet ordre l’exécuta néanmoins, et partit après avoir exécuté une révérence. Mais arrivée dans le couloir, elle se cacha dans un renfoncement et observa les faits et gestes de la Princesse. Elle la vit verser le contenu d’une petite fiole dans le pichet et remplir les timbales des garçons. Ceux-ci flattés qu’une femme de sang royal daigne les servir, burent leur verre de bonne grâce, malgré l’amertume du vin. Il ne fallut pas plus d’une trentaine de secondes pour que les Princes se transforment en grenouilles. Dasleben affolée, se rencogna dans le renfoncement pour passer inaperçue. Ce qu’elle vit la stupéfia et en même temps lui fit peur. Emmmmma et Noey couraient après des grenouilles, pour les attraper et ensuite les enfermaient dans un sac. La tâche s’avéra plus difficile que prévu, les grenouilles étant très vives et ne montrant aucune bonne volonté à se faire capturer. La dernière fut la plus coriace et valut à Noey une chute qui l’envoya le nez sur les carreaux et le cotillon remontant jusque sur sa tête. Rouge de honte, elle se redressa pour retrouver toute sa dignité, et épousseta ses jupons, tout en maugréant contre cette maudite bestiole, qui elle coassait de douleur. Une fois tous les batraciens enfournés dans la royale besace, les deux Princesses sortirent du château et se dirigèrent vers la mare qui se trouvait non loin de là. Arrivées sur le bord, elles mirent les grenouilles à l’eau.
- Et voilà, elle ne viendra pas chercher son promis dans la mare ton idiote de sœur, ricana Emmmmma.
- Et c’est moi qui serai Reine, affirma Noey.
- Filoudor est vraiment un génie des potions, très efficace, dit Emmmmma en se dirigeant vers le palais.
Une fois les Princesses parties, Dasleben s’approcha de la table et vit que les deux femmes avaient oublié la fiole de potion. Elle la glissa dans son tablier et repartit vers les cuisines, pour finir son travail.
Au palais, le roi Cathness et sa fille Yuki, préparaient ardemment le bal du lendemain, Yuki était d’humeur badine et plaisantait avec les serviteurs et son père. La jeune mais néanmoins fourbe Noey, aidait sa sœur participant à la gaieté des préparatifs, et ce d’autant plus qu’elle savait que les Princes ne viendraient pas et se délectait à l’avance de la déconvenue de son aînée.
Le grand soir était enfin arrivé. Le palais était fin prêt, l'immense salle de bal était parée pour ce grand évènement. La Princesse Yuki, avait revêtu ses plus beaux atours et sa suivante lui avait fait une magnifique coiffure. Le Roi et la Princesse Yuki, ainsi que l’ensemble de la famille royale, prirent place sur une terrasse située à l’avant du palais pour voir arriver le cortège des Princes. L’heure prévue pour le défilé approchait, les habitants du royaume se massaient le long du parcours pour profiter du spectacle. 19 H sonnèrent, et pas de colonne princière en vue. Yuki commençait à s’agiter, le Roi son père regardait sans arrêt sa montre à gousset, mais cela ne faisait pas venir les Princes. À 19 H 30, n’y tenant plus, le Roi Cathness fit appeler le chef de sa garde personnelle, le fougueux Ralphsayah et le chargea de se rendre au château de Viridis pour voir ce qu’il se passait. Pendant que le jeune homme se rendait au château, Yuki tournait en rond sur la terrasse, donnant des coups de pieds dans tout ce qui se trouvait sur sa route, un galet atterrit même sur le mollet de sa chère tante Emmmmma qui serra les dents pour ne pas hurler. Une demi-heure plus tard, le fringant garde arriva en trombe sur la terrasse, prenant à peine le temps de descendre de son destrier avant d’annoncer la terrible nouvelle à son Roi : les Princes avaient disparu la veille au soir, et depuis leurs escortes les recherchaient, mais ne trouvaient aucune trace d’eux. La Princesse Yuki, voyant ses rêves maritaux s’effondrer s’écroula sur la terrasse, hurlant de désespoir.
- Nooooooooooon, mes Princes, où sont passés mes Princes, je veux mes Princes, il me les faut. Où sont-ils ? Noooooooooooooooon, pas ça.
- On va les retrouver ma chérie, ne t’inquiète pas, tenta de la consoler son père.
- Oui, on va les chercher, ne t’en fais pas ma petite Yuki, tu te marieras, rajouta l’hypocrite Noey.
- J’espère, je ne veux pas devenir une vieille fille comme tante Emmmmma, reprit l’indélicate Yuki faisant hoqueter ladite tante de dépit.
La pauvre Yuki, en pleurs fut emmenée dans sa chambre par ses deux suivantes Malanor et Zalouettes. Elle fut inconsolable, et pleura dans son oreiller une grande partie de la nuit. Au petit matin, elle se mit à la fenêtre et entendit au loin un chant qu’elle ne connaissait pas. Ce chant mélodieux l’apaisa et elle s’endormit contre le chambranle de la fenêtre. Son père vint la voir pour prendre de ses nouvelles et lui annonça qu’il envoyait l’ensemble de sa garde à la recherche des Princes pour les trouver. La pauvre Princesse acquiesça, les larmes aux yeux, elle voyait son avenir plus sombre que jamais, elle avait peur de ne jamais se marier. Pendant ce temps, les deux conspiratrices fêtaient leur future victoire "Tantine, fais tourner le Champagne, je vais noyer les espoirs de ma chère sœur". Les deux femmes rirent à gorge déployée.
L’après-midi, le chef de la garde, vint faire son rapport au Roi et à la Princesse Yuki. Ils se trouvaient dans la salle du trône, Emmmmma et Noey un peu en retrait, les yeux brillants et le souffle court.
- Majesté, nous n’avons trouvé aucune trace des Princes, ils semblent s’être évaporés, avoua Ralphsayah.
- Mais enfin c’est impensable, s’énerva Yuki, mes chéris n’ont pas pu s’envoler quand même !
- Nous n’avons rien trouvé, nous avons interrogé tout le monde, sauf une servante, qui était rentrée au Palais, répondit Ralphsayah.
- Quel est son nom ? Qu’on la fasse chercher, ordonna Cathness.
- Elle s’appelle, Basseladen ou quelque chose comme ça.
- Dasleben ? demanda Yuki.
- Oui, c’est cela, confirma Ralphsayah.
Ralphsayah envoya un de ses subordonnés chercher la jeune Dasleben, qui le suivit et se présenta devant la famille royale timidement et apeurée à la vue d’Emmmmma et Noey. Après un interrogatoire, la jeune fille avoua avoir vu quelque chose, devant le regard assassin d’Emmmmma, elle déforma un peu la vérité et dit avoir vu Filoudor verser quelque chose dans le vin destiné aux Princes et avoir entendu peu de temps après des grenouilles coasser. Elle exhiba la fiole comme preuve du méfait de la sorcière. La peur au ventre, elle partit dès son témoignage fini, et alla se terrer dans la forêt pour que les terribles Princesses ne la retrouvent pas.
- Ainsi ces pauvres garçons ont été transformés en grenouille par la sorcière, énonça le Roi.
- Des grenouilles, mes chéris transformés en grenouilles… mais quelle horreur, il faut les retrouver !
- Et ensuite, tu comptes en faire l’élevage, ricana Noey.
- Je ne sais pas, mais il doit y avoir un moyen pour leur redonner leur aspect humain, je le sais, je le sens. Ralphsayah, envoie un de tes hommes quérir la Bonne Fée Athénais veux-tu, ordonna la Princesse Yuki regonflée à bloc, je crois que je sais où chercher ces garçons.
Après un entretien avec la Fée Athénais, Yuki savait comment ramener ses prétendants à la vie humaine, enfin un de ses prétendants, la Fée lui avait bien spécifié que seul le premier Prince Grenouille qu’elle embrasserait redeviendrait un homme, les autres restant à jamais des batraciens. Qu’à cela ne tienne, elle n’avait besoin que d’un mari, pas de cinq. Et voilà notre jolie Princesse partie en direction de la mare, d’où elle avait entendu sourdre des coassements la nuit précédente, une épuisette à la main et la démarche décidée.
Une fois au bord de la mare, elle ne sut pas trop comment procéder pour attraper les grenouilles, jamais elle ne l’avait fait. Elle tenta bien de les appeler mais cela n’eut aucun effet "Youhou, mes Princes… Youhoooou, vous êtes là ?". Bien entendu aucun Prince ne répondit à son appel. N’écoutant que son courage, et un peu aussi son envie de convoler, la jeune Yuki entra délicatement dans l’eau, soulevant ses jupons de sa main gauche tout en tenant fermement son épuisette de la main droite. Elle repéra une grenouille sur sa droite. Délicatement, elle abattit son épuisette sur la pauvre bête et la ramena vers elle. Elle réussit à l’attraper au fond de son filet, elle l’embrassa, tout en faisant un peu la grimace, beurk, c’est gluant une grenouille. Mais hélas pour elle, la bestiole ne se transforma pas en beau Prince, mais continua à coasser tout en gigotant pour essayer de s’échapper. Déçue, la Princesse la jeta un peu plus loin dans l’eau, lâchant un "Rhaaa, zut, en plus c’est dégueu…". Ne perdant pas courage pour autant, la jeune fille continua sa chasse à la grenouille. La mare était grande, et une heure plus tard, et après une vingtaine de baisers infructueux, commençant quand même un peu à douter, elle se déplaça dans une autre partie de la mare, une partie un peu plus à l’écart du chemin fréquenté. "Boudiou, j’y arriverai, oui, j’y arriverai, dussé-je embrasser toutes les grenouilles du royaume" marmonnait-elle quand elle aperçut une jolie grenouille d’un vert éclatant, la regardant, assise sur une pierre. Cette grenouille ouvrit la gueule, mais au lieu de coasser comme ses congénères, elle entonna un chant, oh, pas un chant avec des paroles comme elle avait l’habitude d’en écouter, mais un chant mélodieux, le joli chant qu’elle avait entendu lors de sa nuit de désespoir et qui l’avait apaisée. Elle s’en approcha donc doucement, sans faire de geste brusque pour ne pas l’effrayer. Commençant à maîtriser la technique pour les choper, elle abaissa brusquement son épuisette sur la grenouille surprise qui n’eut pas le temps de réagir. Yuki non plus n’eut pas le temps de réagir quand en faisant son geste, son pied gauche ripa sur une pierre recouverte de vase au fond de la mare. La délicate Princesse se retrouva à plat ventre dans l’eau, trempée, la tête sous l’eau. Sa tête émergea aussitôt, crachant l’eau et les herbes qu’elle avait en partie avalées, un nénuphar dégoulinant sur le dessus de la tête. Elle se releva toussant encore un peu, évacuant le nénuphar d’un air dégoûté, avant de s’apercevoir qu’elle tenait toujours son épuisette dans sa main. Elle la regarda de plus près et vit que la grenouille était encore au fond du filet, essayant de se libérer. Elle serra immédiatement le haut du filet et le rapprocha de son visage fangeux. Et ce qu’elle vit lui fit oublier sa chute humiliante et la vase qui s’égouttait de tous les côtés. En effet, la jolie grenouille verte à la voix d’or, ne ressemblait pas à celles qu’elle avait capturées auparavant, celle-là avait un regard différent, un regard "humain".
Réalisant qu’elle avait enfin trouvé son Prince, Yuki partit en courant vers le palais, ne se souciant pas de sa tenue plus que négligée, ne lâchant pas le filet. Elle alla directement à sa chambre, bousculant plusieurs personnes sur son passage. Une fois sa porte fermée, elle mit sa main dans l’épuisette pour attraper l’objet de ses désirs, lequel objet ne semblait pas d’accord et se débattait vigoureusement. Elle réussit à la saisir, la pauvre bête coassa une fausse note de surprise, continuant à lutter pour s’évader. Yuki parvint tant bien que mal à la sortir du filet, et approcha ses lèvres de la grenouille. Celle-ci, visiblement toujours pas décidée à céder à la Princesse, tentait de s’enfuir gigotant de plus belle, mais Yuki la tenait fermement : "Nom d’une pipe tu vas te calmer, je veux juste te faire un bisou. Bisou bisou bisou…". Après une âpre lutte, elle réussit à déposer un baiser sur son nez. Aussitôt, la grenouille se transforma en un charmant Prince aux cheveux bruns. "Hiiiiiiiiiiiiiiiiii, mon beau Prince, épouse-moi" lança la jeune fille en sautant sur le pauvre jeune homme, l’enlaçant pour l’embrasser à nouveau. C’est ce moment que choisit le Roi pour entrer dans la chambre de sa fille, inquiet de son attitude et alerté par le cri de celle-ci. Il surprit donc les deux jeunes gens dans les bras l’un de l’autre et se méprit sur les intentions du Prince.
- Yuki ! Je vois que tu as enfin trouvé un prétendant sérieux. Jeune homme j’aurais préféré que vous me demandiez la permission de fréquenter ma fille avant de venir la rejoindre dans sa chambre pour l’embrasser, déclara le Roi, un sourire joyeux barrant son visage.
- Papa, on va se marier, déclara Yuki, sautillant sur place d’excitation.
- Félicitation jeune homme, vous êtes rapide, mais vous me plaisez, enchaîna le Roi, ne laissant pas le Prince en placer une.
Le Roi partit immédiatement, pour préparer le mariage de sa fille préférée, avant que le garçon ait pu réagir. Yuki, était aux anges, elle piaillait sans cesse, allant de son lit à la fenêtre, de la fenêtre à la porte, donnant des ordres de tous les côtés, embrassant son Prince au passage, sans que celui-ci n’arrive à dire plus de deux mots à la suite, mots que de toute façon elle n’écoutait pas, toute à la préparation de son mariage tant attendu. Les Princesses Emmmmma et Noey, mise au courant du bonheur de Yuki, en firent une jaunisse.
Cet état d’excitation dura toute la semaine. Le Prince étant revenu de sa surprise, ne put néanmoins pas refuser d’épouser la Princesse Yuki, ayant été découvert dans la chambre de celle-ci par le Roi en personne, il n’avait aucun moyen d’échapper aux épousailles. Se sentant piégé, et n’ayant aucune envie de convoler, il déprimait et rêvait de liberté. Ne sachant comment échapper à la pétulante Princesse, il errait comme une âme en peine dans le Palais. La veille du grand mariage, le Prince décida d’aller faire une promenade. Ses pas le conduisirent vers la mare, où l’espace d’un instant il s’était senti si libre. Il s’assit sur une pierre au bord de l’eau et entonna un très beau chant nostalgique de sa composition. Sa voix de velours attira les animaux de la mare charmés par son émouvante ballade. Il resta ainsi un long moment, quand soudain il entendit une voix derrière lui.
- Quelle tristesse dans votre jolie voix. Votre chanson était très belle, auriez-vous quelques soucis ?
Le Prince se retourna et vit une belle jeune femme qui irradiait.
- Je dois me marier demain, répondit le Prince.
- Et c’est cela qui vous rend triste ?
- Oui, je ne veux pas me marier, non pas que Yuki soit quelqu’un de déplaisant, mais je ne veux pas me marier et devenir Roi un jour, moi j’ai envie de chanter sur les routes, se désespéra-t-il.
- Oh, c’est donc vous le Prince Kline qui doit épouser la Princesse Yuki. Pourquoi ne partez-vous pas si vous le désirez tant ? interrogea la jeune femme.
- J’ai été piégé, et je ne peux partir du Royaume, les gardes ne me laisseront pas passer, regretta le Prince Kline.
- Pourquoi êtes-vous venu dans ce royaume sinon pour l’épouser ? l’interrogea-t-elle.
- C’est mon père qui m’a envoyé ici, soi-disant pour le représenter à une cérémonie, si j’avais su qu’il voulait me marier, je ne serais pas venu, s’indigna le Prince.
- Et pourquoi être venu ici, au bord de cette mare ? lui demanda-t-elle, l’œil pétillant.
- C’est là que j’ai passé les meilleures heures que j’ai vécues dans ce pays, j’étais libre et j’étais avec mes amis, des amis que je ne verrai plus, Dodo, Tommy, Triton et Petitlapinjaune, gémit Kline. C’est avec eux que j’aimerais vivre, pas dans un Palais.
- Et vous aimeriez retourner avec eux et vivre comme eux ? hasarda-t-elle.
- Oui, c’est mon rêve, vivre libre, passer mon temps à chanter, soupira Kline.
- Je peux arranger cela, reprit-elle.
- Comment ? s’exclama le Prince en se redressant de l’espoir au fond des yeux.
- En buvant cela, lui expliqua-t-elle en lui présentant une fiole de liquide violet, mais vous devez savoir que c’est irréversible, une fois transformé en grenouille, plus jamais vous ne pourrez redevenir un homme.
- Ce serait parfait, cela me convient très bien, se réjouit-il.
Il tendit la main pour attraper la fiole des mains de la jolie jeune femme qui lui souriait avec bienveillance.
- Kliiiiiine ! Kliiiiiine ! Rha, mais où est-il donc passé ? piaffait Yuki en se dirigeant vers la mare à la recherche de son promis.
Ce fut à ce moment-là que le Prince Kline choisit de redevenir une grenouille, il avala le contenu de la fiole et retourna vers ses copains de grenouillerie qui l’accueillirent avec joie.
- Fée Athénais, vous tombez bien. Est-ce que par hasard vous auriez croisé mon fiancé, je le cherche pour la répétition de la cérémonie du mariage, l’apostropha Yuki.
- Vous avez perdu votre futur époux jeune Princesse ? s’enquit ladite Fée toujours souriante.
- Oui, il me le faut, il me le faut, lança Yuki.
- Je suis désolée, votre futur mari n’est pas ici, poursuivit Athénais.
- Rhaaaaa, mais c’est pas vrai, comment je vais pouvoir me marier demain moi hein, j’emmène qui ? couina la Princesse.
La Bonne Fée haussa les épaules, puis regarda Yuki s’éloigner en pestant après son manque de chance, pour une fois qu’elle en trouvait un mignon et gentil, il fallait qu’il disparaisse.
Elle l’observa un moment puis se tourna vers la mare.
- Bonne chance Prince Kline, susurra Athénais.
- Crôaaaa !
Jamais royaume n’eut en son sein une mare dans laquelle résonnaient d’aussi jolis chants. Si vous voulez rencontrer une Fée, allez vous promener du côté des mares, souvent elles y écoutent les ballades des grenouilles à la voix d’or.
Il y a bien longtemps, dans le royaume d’Aquileo vivait le débonnaire roi Cathness, avec ses deux filles Yuki et Noey. L’aînée, Yuki, était une jolie Princesse au caractère affirmé, très vive et pleine de gaieté. Sa jeune sœur, de cinq ans sa cadette, enviait sa beauté, bien qu’elle-même soit ravissante. Le roi Cathness, se désespérait pour sa fille aînée qu’il n’arrivait pas à marier, aucun Prince n’acceptait d’en faire son épouse, au grand dam de celle-ci. En effet la jeune fille, beaucoup trop indépendante et franche, faisait fuir les prétendants cherchant une épouse soumise et effacée. La jalouse Noey, se réjouissait en secret des déconvenues maritales de sa sœur aînée. Elle espérait convoler avant elle, lui interdisant ainsi un futur mariage et l’accession au trône après le décès de leur père. Noey avait des vues sur le Prince d’un royaume voisin, le Prince Aubin, aussi ambitieux que la belle et qui n’attendait que son feu vert, et la majorité de celle-ci, deux mois plus tard, pour demander sa main au Roi Cathness. Celui-ci, ayant eu vent de la future demande du Prince Aubin, décida de tout faire pour trouver enfin un époux à sa fille préférée, la pétillante Yuki.
Il convoqua les Princes des royaumes alentours. Hélas beaucoup connaissaient déjà la Princesse et peu d’entre eux se laissèrent convaincre de venir au grand bal que le Roi avait organisé pour que sa fille rencontre les jeunes hommes. Tous devaient arriver dans le royaume la veille du Bal, et devaient patienter dans le château de Viridis, à quelques lieues du Palais royal, pour arriver en convoi tous en même temps, formant ainsi un cortège, digne d’une future reine. Malgré le petit nombre de prétendants, le Roi se réjouissait de pouvoir enfin choisir son futur gendre. Noey en apparence contente pour sa sœur bouillait intérieurement d’une jalousie qui la rendait malade. Elle s’en ouvrit à sa tante, la terrible Princesse Emmmmma qui détestait cordialement sa nièce Yuki. Emmmmma était la plus jeune sœur du Roi, et elle avait le même caractère que sa nièce Noey, de qui elle était très proche.
- Ne t’inquiète pas Noey, nous ne laisserons pas ta gourde de sœur trouver un époux.
- Mais tante Emmmmma, les Princes arrivent aujourd’hui au château de Viridis, on ne peut plus leur envoyer de messager pour annuler le Bal, répondit Noey désespérée.
- Ils sont peut-être là, mais aucun n’épousera cette petite dinde, ah non, ce sera toi la reine, je t’en fais le serment. Les Princes doivent disparaître au plus vite.
- Mais on ne peut pas les tuer, cela provoquerait immanquablement des guerres et notre royaume disparaîtrait, et pour que je devienne reine si on n’a plus de pays, alors là bernique.
- Qui parle de les tuer ? J’ai dit disparaître…
Sans plus attendre, Emmmmma entraîna sa nièce dans de sombres ruelles que la jeune fille ne connaissait pas. Elle toqua à une porte à moitié dégondée. Une vieille femme vint leur ouvrir et les fit entrer dans la maison miteuse.
- Que me vaut l’honneur de votre visite Princesse Emmmmma, demanda la vieille en les scrutant de son regard pénétrant.
- Filoudor, il faut absolument que les cinq Princes étrangers qui logeront dès ce soir au Château de Viridis, disparaissent de la circulation.
- Oh, un quintuple meurtre, cela va vous revenir très cher, Princesse.
- Mais enfin, qu’est-ce que vous avez toutes avec les meurtres ? Je ne veux pas qu’ils meurent, je veux qu’ils ne puissent plus épouser ma nièce.
- Vous ne désirez plus vous marier, jolie jeune fille ? reprit la vieille, en passant son doigt déformé et sale sous le menton de Noey, qui du coup se recula en grimaçant.
- Pas elle, sa bécasse de sœur, soupira Emmmmma.
- Et où sont ces cinq jouvenceaux ?
- Jouvenceaux, c’est vite dit, des laissés pour compte en mal de beau parti plutôt oui, marmonna Noey plus renfrognée que jamais.
- Au château de Viridis, il faudrait que ce soit réglé ce soir, reprit Emmmmma.
- Oui, je vois… Vous allez leur faire boire une petite potion de mon cru, déclara la sorcière Filoudor en lui remettant un flacon rempli de liquide rouge.
- Et que leur arrivera-t-il ? demanda Emmmmma perplexe en tournant la fiole entre ses doigts.
- Oh, presque rien, ils vont juste devenir très… bondissants, ricana Filoudor.
- Bondissants ? s’étonna Emmmmma, je ne vois pas en quoi cela les empêcherait d’épouser cette cruche de Yuki.
- Il faudrait qu’elle aime les petits animaux verts gluants et qu’elle prenne plaisir à leur donner un baiser, s’esclaffa la vieille.
- Des grenouilles ? avança Emmmmma un sourire mauvais au coin des lèvres.
La sorcière partit alors d’un rire démoniaque, vite rejointe dans cette gaieté mauvaise par les deux femmes de sang royal.
Emmmmma et Noey, partirent donc vers le château de Viridis, elles y accueillirent les Princes fraîchement arrivés. Pour leur "souhaiter" la bienvenue, elles leur proposèrent des rafraîchissements. Tandis que Noey discutait avec les jeunes hommes, Emmmmma se rendit aux cuisines pour donner des ordres. Une jeune servante du nom de Dasleben, la suivit, un plateau, rempli de gobelets en étain et d’un pichet de vin, dans ses frêles mains. Une fois le plateau posé sur la table, la Princesse renvoya la jeune fille aux cuisines, préférant servir les Princes elle-même. Dasleben, surprise de cet ordre l’exécuta néanmoins, et partit après avoir exécuté une révérence. Mais arrivée dans le couloir, elle se cacha dans un renfoncement et observa les faits et gestes de la Princesse. Elle la vit verser le contenu d’une petite fiole dans le pichet et remplir les timbales des garçons. Ceux-ci flattés qu’une femme de sang royal daigne les servir, burent leur verre de bonne grâce, malgré l’amertume du vin. Il ne fallut pas plus d’une trentaine de secondes pour que les Princes se transforment en grenouilles. Dasleben affolée, se rencogna dans le renfoncement pour passer inaperçue. Ce qu’elle vit la stupéfia et en même temps lui fit peur. Emmmmma et Noey couraient après des grenouilles, pour les attraper et ensuite les enfermaient dans un sac. La tâche s’avéra plus difficile que prévu, les grenouilles étant très vives et ne montrant aucune bonne volonté à se faire capturer. La dernière fut la plus coriace et valut à Noey une chute qui l’envoya le nez sur les carreaux et le cotillon remontant jusque sur sa tête. Rouge de honte, elle se redressa pour retrouver toute sa dignité, et épousseta ses jupons, tout en maugréant contre cette maudite bestiole, qui elle coassait de douleur. Une fois tous les batraciens enfournés dans la royale besace, les deux Princesses sortirent du château et se dirigèrent vers la mare qui se trouvait non loin de là. Arrivées sur le bord, elles mirent les grenouilles à l’eau.
- Et voilà, elle ne viendra pas chercher son promis dans la mare ton idiote de sœur, ricana Emmmmma.
- Et c’est moi qui serai Reine, affirma Noey.
- Filoudor est vraiment un génie des potions, très efficace, dit Emmmmma en se dirigeant vers le palais.
Une fois les Princesses parties, Dasleben s’approcha de la table et vit que les deux femmes avaient oublié la fiole de potion. Elle la glissa dans son tablier et repartit vers les cuisines, pour finir son travail.
Au palais, le roi Cathness et sa fille Yuki, préparaient ardemment le bal du lendemain, Yuki était d’humeur badine et plaisantait avec les serviteurs et son père. La jeune mais néanmoins fourbe Noey, aidait sa sœur participant à la gaieté des préparatifs, et ce d’autant plus qu’elle savait que les Princes ne viendraient pas et se délectait à l’avance de la déconvenue de son aînée.
Le grand soir était enfin arrivé. Le palais était fin prêt, l'immense salle de bal était parée pour ce grand évènement. La Princesse Yuki, avait revêtu ses plus beaux atours et sa suivante lui avait fait une magnifique coiffure. Le Roi et la Princesse Yuki, ainsi que l’ensemble de la famille royale, prirent place sur une terrasse située à l’avant du palais pour voir arriver le cortège des Princes. L’heure prévue pour le défilé approchait, les habitants du royaume se massaient le long du parcours pour profiter du spectacle. 19 H sonnèrent, et pas de colonne princière en vue. Yuki commençait à s’agiter, le Roi son père regardait sans arrêt sa montre à gousset, mais cela ne faisait pas venir les Princes. À 19 H 30, n’y tenant plus, le Roi Cathness fit appeler le chef de sa garde personnelle, le fougueux Ralphsayah et le chargea de se rendre au château de Viridis pour voir ce qu’il se passait. Pendant que le jeune homme se rendait au château, Yuki tournait en rond sur la terrasse, donnant des coups de pieds dans tout ce qui se trouvait sur sa route, un galet atterrit même sur le mollet de sa chère tante Emmmmma qui serra les dents pour ne pas hurler. Une demi-heure plus tard, le fringant garde arriva en trombe sur la terrasse, prenant à peine le temps de descendre de son destrier avant d’annoncer la terrible nouvelle à son Roi : les Princes avaient disparu la veille au soir, et depuis leurs escortes les recherchaient, mais ne trouvaient aucune trace d’eux. La Princesse Yuki, voyant ses rêves maritaux s’effondrer s’écroula sur la terrasse, hurlant de désespoir.
- Nooooooooooon, mes Princes, où sont passés mes Princes, je veux mes Princes, il me les faut. Où sont-ils ? Noooooooooooooooon, pas ça.
- On va les retrouver ma chérie, ne t’inquiète pas, tenta de la consoler son père.
- Oui, on va les chercher, ne t’en fais pas ma petite Yuki, tu te marieras, rajouta l’hypocrite Noey.
- J’espère, je ne veux pas devenir une vieille fille comme tante Emmmmma, reprit l’indélicate Yuki faisant hoqueter ladite tante de dépit.
La pauvre Yuki, en pleurs fut emmenée dans sa chambre par ses deux suivantes Malanor et Zalouettes. Elle fut inconsolable, et pleura dans son oreiller une grande partie de la nuit. Au petit matin, elle se mit à la fenêtre et entendit au loin un chant qu’elle ne connaissait pas. Ce chant mélodieux l’apaisa et elle s’endormit contre le chambranle de la fenêtre. Son père vint la voir pour prendre de ses nouvelles et lui annonça qu’il envoyait l’ensemble de sa garde à la recherche des Princes pour les trouver. La pauvre Princesse acquiesça, les larmes aux yeux, elle voyait son avenir plus sombre que jamais, elle avait peur de ne jamais se marier. Pendant ce temps, les deux conspiratrices fêtaient leur future victoire "Tantine, fais tourner le Champagne, je vais noyer les espoirs de ma chère sœur". Les deux femmes rirent à gorge déployée.
L’après-midi, le chef de la garde, vint faire son rapport au Roi et à la Princesse Yuki. Ils se trouvaient dans la salle du trône, Emmmmma et Noey un peu en retrait, les yeux brillants et le souffle court.
- Majesté, nous n’avons trouvé aucune trace des Princes, ils semblent s’être évaporés, avoua Ralphsayah.
- Mais enfin c’est impensable, s’énerva Yuki, mes chéris n’ont pas pu s’envoler quand même !
- Nous n’avons rien trouvé, nous avons interrogé tout le monde, sauf une servante, qui était rentrée au Palais, répondit Ralphsayah.
- Quel est son nom ? Qu’on la fasse chercher, ordonna Cathness.
- Elle s’appelle, Basseladen ou quelque chose comme ça.
- Dasleben ? demanda Yuki.
- Oui, c’est cela, confirma Ralphsayah.
Ralphsayah envoya un de ses subordonnés chercher la jeune Dasleben, qui le suivit et se présenta devant la famille royale timidement et apeurée à la vue d’Emmmmma et Noey. Après un interrogatoire, la jeune fille avoua avoir vu quelque chose, devant le regard assassin d’Emmmmma, elle déforma un peu la vérité et dit avoir vu Filoudor verser quelque chose dans le vin destiné aux Princes et avoir entendu peu de temps après des grenouilles coasser. Elle exhiba la fiole comme preuve du méfait de la sorcière. La peur au ventre, elle partit dès son témoignage fini, et alla se terrer dans la forêt pour que les terribles Princesses ne la retrouvent pas.
- Ainsi ces pauvres garçons ont été transformés en grenouille par la sorcière, énonça le Roi.
- Des grenouilles, mes chéris transformés en grenouilles… mais quelle horreur, il faut les retrouver !
- Et ensuite, tu comptes en faire l’élevage, ricana Noey.
- Je ne sais pas, mais il doit y avoir un moyen pour leur redonner leur aspect humain, je le sais, je le sens. Ralphsayah, envoie un de tes hommes quérir la Bonne Fée Athénais veux-tu, ordonna la Princesse Yuki regonflée à bloc, je crois que je sais où chercher ces garçons.
Après un entretien avec la Fée Athénais, Yuki savait comment ramener ses prétendants à la vie humaine, enfin un de ses prétendants, la Fée lui avait bien spécifié que seul le premier Prince Grenouille qu’elle embrasserait redeviendrait un homme, les autres restant à jamais des batraciens. Qu’à cela ne tienne, elle n’avait besoin que d’un mari, pas de cinq. Et voilà notre jolie Princesse partie en direction de la mare, d’où elle avait entendu sourdre des coassements la nuit précédente, une épuisette à la main et la démarche décidée.
Une fois au bord de la mare, elle ne sut pas trop comment procéder pour attraper les grenouilles, jamais elle ne l’avait fait. Elle tenta bien de les appeler mais cela n’eut aucun effet "Youhou, mes Princes… Youhoooou, vous êtes là ?". Bien entendu aucun Prince ne répondit à son appel. N’écoutant que son courage, et un peu aussi son envie de convoler, la jeune Yuki entra délicatement dans l’eau, soulevant ses jupons de sa main gauche tout en tenant fermement son épuisette de la main droite. Elle repéra une grenouille sur sa droite. Délicatement, elle abattit son épuisette sur la pauvre bête et la ramena vers elle. Elle réussit à l’attraper au fond de son filet, elle l’embrassa, tout en faisant un peu la grimace, beurk, c’est gluant une grenouille. Mais hélas pour elle, la bestiole ne se transforma pas en beau Prince, mais continua à coasser tout en gigotant pour essayer de s’échapper. Déçue, la Princesse la jeta un peu plus loin dans l’eau, lâchant un "Rhaaa, zut, en plus c’est dégueu…". Ne perdant pas courage pour autant, la jeune fille continua sa chasse à la grenouille. La mare était grande, et une heure plus tard, et après une vingtaine de baisers infructueux, commençant quand même un peu à douter, elle se déplaça dans une autre partie de la mare, une partie un peu plus à l’écart du chemin fréquenté. "Boudiou, j’y arriverai, oui, j’y arriverai, dussé-je embrasser toutes les grenouilles du royaume" marmonnait-elle quand elle aperçut une jolie grenouille d’un vert éclatant, la regardant, assise sur une pierre. Cette grenouille ouvrit la gueule, mais au lieu de coasser comme ses congénères, elle entonna un chant, oh, pas un chant avec des paroles comme elle avait l’habitude d’en écouter, mais un chant mélodieux, le joli chant qu’elle avait entendu lors de sa nuit de désespoir et qui l’avait apaisée. Elle s’en approcha donc doucement, sans faire de geste brusque pour ne pas l’effrayer. Commençant à maîtriser la technique pour les choper, elle abaissa brusquement son épuisette sur la grenouille surprise qui n’eut pas le temps de réagir. Yuki non plus n’eut pas le temps de réagir quand en faisant son geste, son pied gauche ripa sur une pierre recouverte de vase au fond de la mare. La délicate Princesse se retrouva à plat ventre dans l’eau, trempée, la tête sous l’eau. Sa tête émergea aussitôt, crachant l’eau et les herbes qu’elle avait en partie avalées, un nénuphar dégoulinant sur le dessus de la tête. Elle se releva toussant encore un peu, évacuant le nénuphar d’un air dégoûté, avant de s’apercevoir qu’elle tenait toujours son épuisette dans sa main. Elle la regarda de plus près et vit que la grenouille était encore au fond du filet, essayant de se libérer. Elle serra immédiatement le haut du filet et le rapprocha de son visage fangeux. Et ce qu’elle vit lui fit oublier sa chute humiliante et la vase qui s’égouttait de tous les côtés. En effet, la jolie grenouille verte à la voix d’or, ne ressemblait pas à celles qu’elle avait capturées auparavant, celle-là avait un regard différent, un regard "humain".
Réalisant qu’elle avait enfin trouvé son Prince, Yuki partit en courant vers le palais, ne se souciant pas de sa tenue plus que négligée, ne lâchant pas le filet. Elle alla directement à sa chambre, bousculant plusieurs personnes sur son passage. Une fois sa porte fermée, elle mit sa main dans l’épuisette pour attraper l’objet de ses désirs, lequel objet ne semblait pas d’accord et se débattait vigoureusement. Elle réussit à la saisir, la pauvre bête coassa une fausse note de surprise, continuant à lutter pour s’évader. Yuki parvint tant bien que mal à la sortir du filet, et approcha ses lèvres de la grenouille. Celle-ci, visiblement toujours pas décidée à céder à la Princesse, tentait de s’enfuir gigotant de plus belle, mais Yuki la tenait fermement : "Nom d’une pipe tu vas te calmer, je veux juste te faire un bisou. Bisou bisou bisou…". Après une âpre lutte, elle réussit à déposer un baiser sur son nez. Aussitôt, la grenouille se transforma en un charmant Prince aux cheveux bruns. "Hiiiiiiiiiiiiiiiiii, mon beau Prince, épouse-moi" lança la jeune fille en sautant sur le pauvre jeune homme, l’enlaçant pour l’embrasser à nouveau. C’est ce moment que choisit le Roi pour entrer dans la chambre de sa fille, inquiet de son attitude et alerté par le cri de celle-ci. Il surprit donc les deux jeunes gens dans les bras l’un de l’autre et se méprit sur les intentions du Prince.
- Yuki ! Je vois que tu as enfin trouvé un prétendant sérieux. Jeune homme j’aurais préféré que vous me demandiez la permission de fréquenter ma fille avant de venir la rejoindre dans sa chambre pour l’embrasser, déclara le Roi, un sourire joyeux barrant son visage.
- Papa, on va se marier, déclara Yuki, sautillant sur place d’excitation.
- Félicitation jeune homme, vous êtes rapide, mais vous me plaisez, enchaîna le Roi, ne laissant pas le Prince en placer une.
Le Roi partit immédiatement, pour préparer le mariage de sa fille préférée, avant que le garçon ait pu réagir. Yuki, était aux anges, elle piaillait sans cesse, allant de son lit à la fenêtre, de la fenêtre à la porte, donnant des ordres de tous les côtés, embrassant son Prince au passage, sans que celui-ci n’arrive à dire plus de deux mots à la suite, mots que de toute façon elle n’écoutait pas, toute à la préparation de son mariage tant attendu. Les Princesses Emmmmma et Noey, mise au courant du bonheur de Yuki, en firent une jaunisse.
Cet état d’excitation dura toute la semaine. Le Prince étant revenu de sa surprise, ne put néanmoins pas refuser d’épouser la Princesse Yuki, ayant été découvert dans la chambre de celle-ci par le Roi en personne, il n’avait aucun moyen d’échapper aux épousailles. Se sentant piégé, et n’ayant aucune envie de convoler, il déprimait et rêvait de liberté. Ne sachant comment échapper à la pétulante Princesse, il errait comme une âme en peine dans le Palais. La veille du grand mariage, le Prince décida d’aller faire une promenade. Ses pas le conduisirent vers la mare, où l’espace d’un instant il s’était senti si libre. Il s’assit sur une pierre au bord de l’eau et entonna un très beau chant nostalgique de sa composition. Sa voix de velours attira les animaux de la mare charmés par son émouvante ballade. Il resta ainsi un long moment, quand soudain il entendit une voix derrière lui.
- Quelle tristesse dans votre jolie voix. Votre chanson était très belle, auriez-vous quelques soucis ?
Le Prince se retourna et vit une belle jeune femme qui irradiait.
- Je dois me marier demain, répondit le Prince.
- Et c’est cela qui vous rend triste ?
- Oui, je ne veux pas me marier, non pas que Yuki soit quelqu’un de déplaisant, mais je ne veux pas me marier et devenir Roi un jour, moi j’ai envie de chanter sur les routes, se désespéra-t-il.
- Oh, c’est donc vous le Prince Kline qui doit épouser la Princesse Yuki. Pourquoi ne partez-vous pas si vous le désirez tant ? interrogea la jeune femme.
- J’ai été piégé, et je ne peux partir du Royaume, les gardes ne me laisseront pas passer, regretta le Prince Kline.
- Pourquoi êtes-vous venu dans ce royaume sinon pour l’épouser ? l’interrogea-t-elle.
- C’est mon père qui m’a envoyé ici, soi-disant pour le représenter à une cérémonie, si j’avais su qu’il voulait me marier, je ne serais pas venu, s’indigna le Prince.
- Et pourquoi être venu ici, au bord de cette mare ? lui demanda-t-elle, l’œil pétillant.
- C’est là que j’ai passé les meilleures heures que j’ai vécues dans ce pays, j’étais libre et j’étais avec mes amis, des amis que je ne verrai plus, Dodo, Tommy, Triton et Petitlapinjaune, gémit Kline. C’est avec eux que j’aimerais vivre, pas dans un Palais.
- Et vous aimeriez retourner avec eux et vivre comme eux ? hasarda-t-elle.
- Oui, c’est mon rêve, vivre libre, passer mon temps à chanter, soupira Kline.
- Je peux arranger cela, reprit-elle.
- Comment ? s’exclama le Prince en se redressant de l’espoir au fond des yeux.
- En buvant cela, lui expliqua-t-elle en lui présentant une fiole de liquide violet, mais vous devez savoir que c’est irréversible, une fois transformé en grenouille, plus jamais vous ne pourrez redevenir un homme.
- Ce serait parfait, cela me convient très bien, se réjouit-il.
Il tendit la main pour attraper la fiole des mains de la jolie jeune femme qui lui souriait avec bienveillance.
- Kliiiiiine ! Kliiiiiine ! Rha, mais où est-il donc passé ? piaffait Yuki en se dirigeant vers la mare à la recherche de son promis.
Ce fut à ce moment-là que le Prince Kline choisit de redevenir une grenouille, il avala le contenu de la fiole et retourna vers ses copains de grenouillerie qui l’accueillirent avec joie.
- Fée Athénais, vous tombez bien. Est-ce que par hasard vous auriez croisé mon fiancé, je le cherche pour la répétition de la cérémonie du mariage, l’apostropha Yuki.
- Vous avez perdu votre futur époux jeune Princesse ? s’enquit ladite Fée toujours souriante.
- Oui, il me le faut, il me le faut, lança Yuki.
- Je suis désolée, votre futur mari n’est pas ici, poursuivit Athénais.
- Rhaaaaa, mais c’est pas vrai, comment je vais pouvoir me marier demain moi hein, j’emmène qui ? couina la Princesse.
La Bonne Fée haussa les épaules, puis regarda Yuki s’éloigner en pestant après son manque de chance, pour une fois qu’elle en trouvait un mignon et gentil, il fallait qu’il disparaisse.
Elle l’observa un moment puis se tourna vers la mare.
- Bonne chance Prince Kline, susurra Athénais.
- Crôaaaa !
Jamais royaume n’eut en son sein une mare dans laquelle résonnaient d’aussi jolis chants. Si vous voulez rencontrer une Fée, allez vous promener du côté des mares, souvent elles y écoutent les ballades des grenouilles à la voix d’or.
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