Le chant du papillon
Sam 16 Nov 2024 - 17:30
Le chant du papillon
La petite ville de Guesterault, était une petite cité prospère, vive. Ses rues sinueuses respiraient la joie de vivre. Un château imposant, portant le même nom, la dominait de son auguste silhouette, la protégeant de son ombre tutélaire. Tous les ans depuis des temps immémoriaux, une grande foire était organisée jusque sous les murs du château, réunissant marchands, chalands, artistes, religieux, nobles et mendiants.
La célébrité de la foire avait depuis longtemps dépassé les frontières du fief du seigneur de Guesterault. Curieux et commerçants venaient des régions alentour, se retrouvant pour le jour de l’ouverture, se côtoyant et festoyant pendant une semaine entière.
Vendelin, un jeune ménestrel et sa cousine Mahaut, qui l’accompagnait de ses danses endiablées, se joignirent à un groupe d’artisans qui se rendaient à la foire.
Une fois sur place les deux cousins cherchèrent un emplacement propice pour exercer leur art. Après de longues recherches infructueuses, commençant à désespérer, ils trouvèrent l’endroit idéal, juste sous les murailles du château. Ils dénichèrent une aire suffisamment dégagée pour la jeune fille et raisonnablement éloignée pour que les passants puissent entendre Vendelin.
Ils posèrent leur attirail contre la paroi. Mahaut sortit les foulards, rubans et colifichets qui lui servaient à attirer le regard des spectateurs, à mettre en valeur ses danses et ainsi augmenter leur pécule. Vendelin quant à lui, posa un sac de cuir après en avoir délicatement extrait un beau rebec que lui avait donné un vieil homme qui n’arrivait plus à s’en servir à cause de ses doigts déformés par le temps. Le vieil homme lui avait appris à l’apprivoiser, à faire courir ses doigts et l’archet sur les cordes, et Vendelin en élève doué et inspiré ne tarda pas à en tirer des musiques suaves, entraînantes et envoûtantes.
Comme c’était le premier matin de la foire, les deux jeunes gens se mirent à l’œuvre sans tarder, une foule déjà importante se pressant entre les stands. Vendelin caressa amoureusement son archet et le fit voleter délicatement sur les cordes de son rebec. Le son aigre-doux de l’instrument commença à titiller l’ouïe des passants, sans pour autant les attirer vers eux. Mahaut amorça alors des mouvements langoureux au rythme de la musique.
La souplesse, la beauté et le talent de la jeune fille appâtèrent un peu plus les flâneurs, charmés par son aisance. La foule de spectateurs se faisait de plus en plus compacte. Vendelin acheva de conquérir l’assemblée en entonnant un doux chant. Sa voix caressante et enjôleuse ensorcelait tous ceux qui l’entendaient. La virtuosité du garçon était incontestable et irrésistible.
Les exposants et les passants ne furent pas les seuls à être fascinés par la voix angélique du jeune homme. Claquemuré dans son château, le Seigneur de Guesterault, le comte Stanislas, fut lui aussi séduit par le chant du garçon. Jamais les villageois ne voyaient leur noble Seigneur, il ne sortait que rarement de sa demeure, mais savait tout ce qu’il se passait dans son fief, grâce à un astucieux système acoustique et un serviteur dévoué.
À la fin de la semaine de foire, le comte Stanislas envoya son serviteur chercher Vendelin. Celui-ci accepta l’invitation, tandis que sa cousine restait à l’extérieur, préférant la ville à l’imposant château.
Le comte Stanislas était un homme sans âge, qui paraissait fatigué ou malade. Il était assis dans un fauteuil recouvert de velours cinabre lui aussi fatigué. Il expliqua à Vendelin qu’il était amateur de musique, surtout de chant, et que les ritournelles du jeune homme avaient enchanté son oreille et son âme, l’avaient fait se sentir mieux.
Le comte Stanislas et Vendelin sympathisèrent assez vite, parlant de musique, de voix, d’instruments et des contrées lointaines où Vendelin avait voyagé. Pour remercier son hôte, Vendelin entonna plusieurs refrains juste pour lui en s’accompagnant de son rebec. Ils s’entendirent si bien qu’en fin de soirée, le comte Stanislas proposa à Vendelin de rester à demeure dans son château pour chanter pour lui. Flatté et content de se poser un peu Vendelin accepta.
Pendant plusieurs jours, il chanta pour le comte Stanislas dès que l’un ou l’autre avait envie d’entendre de la musique, Stanislas accompagnant parfois le ménestrel de sa belle voix grave. Au fil du temps, le comte semblait aller mieux, paraissait moins fatigué presque plus jeune.
Un jour, le comte montra à Vendelin un pendentif de belle taille sur lequel était gravé un papillon. Le ménestrel semblait hypnotisé par le bijou ancien. Stanislas l’autorisa à le porter à la condition de rester pour toujours au château et de ne jamais sortir le médaillon de la forteresse. Vendelin promit de rester et de ne jamais faire passer la porte au bijou, en contrepartie de quoi il put suspendre la chaîne autour de son cou.
Les jours passèrent, remplis de musique et de chants. Les deux hommes s’entendaient à merveille, le comte recouvrait doucement la santé. Le comte Stanislas pourvoyait à tous ses besoins et s’employait à satisfaire tous ses désirs, pourtant Vendelin commençait à s’ennuyer entre les murs de la forteresse, la route, la foule, les voyages lui manquaient, et il se demandait où était sa cousine.
Un soir, alors que le comte avait regagné sa chambre, Vendelin entendit une voix qui l’appelait. Il se rendit à une fenêtre donnant sur le village, l’ouvrit et se pencha, une lanterne à la main pour tenter de voir qui le hélait. C’était Mahaut qui venait le chercher ; elle avait rencontré une troupe de saltimbanques qui repartait le soir même par les chemins pour rejoindre une autre ville. Elle le supplia de se joindre à eux, lui expliquant que c’était une chance pour eux. Vendelin, bien que profondément attaché au comte Stanislas se laissa convaincre et sortit furtivement du château.
Les artistes ambulants, s’installèrent bientôt dans une ville de la province voisine. Les acrobates, danseurs et jongleurs commencèrent le spectacle, la gaieté de la représentation attira une foule nombreuse. Vendelin et Mahaut, prirent la suite, charmant à leur tour les badauds. À la fin de leur numéro, pendant les applaudissements, Vendelin vit une toute jeune fille qui le fixait avec insistance. Elle portait une magnifique robe couleur de feu, elle s’approcha de lui et lui dit en le regardant droit dans les yeux : "N’as-tu pas manqué à ta parole et emporté quelque chose qui ne t’appartenait pas ?". Un peu troublé, Vendelin porta instinctivement la main à sa poitrine et sentit le médaillon, mais il oublia vite la jeune fille et repartit avec la troupe.
Quelques temps plus tard, ils arrivèrent dans une autre ville, dans un fief un peu plus éloigné. Il y avait une grande fête donnée par le Seigneur du lieu. La troupe fut invitée au château pour une représentation privée. Les saltimbanques firent merveille, si bien que le Seigneur leur demanda de rester quelques jours. Après la dernière représentation, Vendelin fut abordé par une jeune femme en bel habit garance. Celle-ci s’approcha et lui susurra "N’as-tu pas manqué à ta parole et emporté quelque chose qui ne t’appartenait pas ?". Vendelin, surpris, sursauta ; il chercha la jeune femme du regard, mais ne la revit pas dans la foule. Ses doigts explorèrent sa poitrine en quête du bijou autour de son cou, ils le sentirent. Vendelin le sortit pour le regarder, il fut un peu déconcerté, il se le rappelait un peu plus grand.
La troupe de saltimbanques décida de rester dans cette ville pour passer l’hiver, Vendelin et Mahaut quant à eux préférèrent reprendre leur route. Après avoir erré par monts et par vaux, ils firent halte dans un village isolé. Les deux jeunes gens réussirent une assez belle prestation, le dimanche matin, attirant les habitants heureux de cette distraction, assez inhabituelle dans leur petit bourg. Comme toujours, la foule était sous le charme de la danse de Mahaut et de la voix de Vendelin, malgré la fatigue qu’il ressentait depuis quelques temps. Quand Vendelin fit la quête à la fin de son tour de chants, une femme d’âge moyen, revêtue d’un vêtement incarnat défraîchi, lui fit l’aumône tout en lui glissant à l’oreille : "N’as-tu pas manqué à ta parole et emporté quelque chose qui ne t’appartenait pas ?". Il faillit lâcher le chapeau, qui lui servait de sébile, de surprise, mais là encore il ne put lui demander une explication, elle avait disparu avant qu’il n’ait eu le temps de le faire. Il resserra sa main sur le médaillon.
Dans les jours et semaines qui suivirent, Vendelin se sentit malade, il pâlissait, s’affaiblissait sans que le guérisseur qu’il consulta ne comprît pourquoi. Malgré cela, le ménestrel et la danseuse continuèrent leur route. Vendelin se sentait de plus en plus fatigué, il n’arrivait plus à se reposer, la nuit il revoyait sans cesse en rêve les trois femmes, qui lui posaient toujours la même question. Mahaut, à qui il n’avait rien dit, ne comprenait pas la cause de son malaise.
Ils arrivèrent un jour dans un autre village, assez sombre et tristounet. Pourtant, ils décidèrent de produire leur spectacle. Si la prestation de Mahaut fut parfaite, Vendelin lui ne chanta pas aussi bien que d’habitude, sa voix était atone, les émotions passaient mal et le rebec semblait un peu faux. Grâce à la jeune fille et sa vitalité, ils récoltèrent quand même quelques deniers. Ce fut pendant qu’il comptait sa faible recette, que Vendelin vit une vieille femme habillée d’oripeaux rouge terne et sale, à la limite du bistre délavé, qui s’approchait de lui en boitant. Il prit peur et porta la main à sa poitrine, il toucha le médaillon qui lui sembla encore plus petit. Il se mit alors les mains sur les oreilles pour ne pas entendre les paroles de la vieille, pourtant il perçut quand même la phrase fatidique : "N’as-tu pas manqué à ta parole et emporté quelque chose qui ne t’appartenait pas ?".
Terrorisé, Vendelin expliqua à Mahaut l’origine de ses tourments. La jeune fille atterrée, décida qu’ils devaient retourner immédiatement à Guesterault et rendre le médaillon au comte Stanislas. Tous deux repartirent donc dans la direction de Guesterault. Le chemin fut long, Vendelin s’épuisait de plus en plus. Mahaut devait souvent le soutenir en fin de journée.
Enfin ils arrivèrent à Guesterault, mais ils eurent de la peine à reconnaître la ville, autrefois gaie et vive, elle semblait éteinte, triste, sale et pauvre. Quand ils virent enfin le château se dresser devant eux, ils constatèrent qu’il commençait à se dégrader, les habitants de la ville semblaient avoir fui la bâtisse et se tenir désormais au large du bâtiment autrefois imposant, mais désormais inquiétant. En arrivant à proximité de la forteresse, ils furent harangués par une très vieille femme en haillon d’une couleur indéfinissable : "As-tu ramené ce que tu avais pris ?". Vendelin glissa alors la main sous sa chemise et en sortit un médaillon au bout d’une chaîne, un tout petit médaillon sur lequel était gravé un petit papillon, un tout petit papillon.
Vendelin pénétra alors dans le château par la porte d’entrée entrebâillée, Mahaut elle resta à l’extérieur, ne parvenant pas à passer le seuil comme si la forteresse lui interdisait l’accès. Vendelin partit à la recherche du comte Stanislas pour lui rendre le médaillon et surtout se faire pardonner. Au bout d’un long moment, il parvint à le dénicher, allongé sur son lit. Il avait l’air très mal en point. Vendelin se mit à genoux à côté lui et tenta de le réveiller en posant délicatement la main sur son épaule. Le comte Stanislas ouvrit les yeux et tenta de parler. Vendelin s’approcha pour entendre ses paroles. Dans un dernier souffle Stanislas prononça le prénom de Vendelin, et expira dans ses bras avant que Vendelin n’ait eu le temps de lui donner le médaillon.
Au même moment, le médaillon se désagrégea et Vendelin entendit la porte d’entrée se refermer brutalement. Les larmes aux yeux, Vendelin contemplait Stanislas, il se sentait si coupable. Il entendit alors une voix qui semblait émaner des murs. Une voix qui lui disait qu’il avait volé l’âme et le cœur du comte Stanislas, qu’il était responsable de sa mort, qu’il devrait désormais prendre sa place. Il prit peur, et recula affolé, il percuta alors le serviteur du comte. Il tenait à la main un autre médaillon aussi gros que l’autre quand Vendelin l’avait vu la première fois. Il le tendit à Vendelin, qui s’en saisit sans réfléchir. Prenant conscience de son erreur, il le lâcha, mais il était trop tard. Il comprit que jamais plus il ne pourrait sortir du château, que jamais il ne reverrait Mahaut. De détresse, il jeta son rebec qui se brisa en deux. Le serviteur lui expliqua que son seul espoir était qu’un autre jeune homme accepte de vivre dans la demeure et consente à rester plus d’un an à ses côtés, sans qu’il en sache la raison profonde, pour le délivrer du maléfice.
Toute sa vie Vendelin espéra trouver ce sauveur, mais la ville déjà en déclin continua de péricliter, les habitants fuyaient les parages du château qui se dégradait de plus en plus, les étrangers passaient au large sans entrer dans la cité, au fur et à mesure que la santé de Vendelin se détériorait. Le jeune homme tant attendu ne vint jamais, et Vendelin ne fut jamais délivré du maléfice.
Des siècles plus tard, on raconte encore que l’âme du comte Vendelin erre dans les ruines du château de Guesterault et que seuls les jeunes gens peuvent encore percevoir son chant. Un beau chant… un très beau chant triste, mélodieux et envoûtant.
La petite ville de Guesterault, était une petite cité prospère, vive. Ses rues sinueuses respiraient la joie de vivre. Un château imposant, portant le même nom, la dominait de son auguste silhouette, la protégeant de son ombre tutélaire. Tous les ans depuis des temps immémoriaux, une grande foire était organisée jusque sous les murs du château, réunissant marchands, chalands, artistes, religieux, nobles et mendiants.
La célébrité de la foire avait depuis longtemps dépassé les frontières du fief du seigneur de Guesterault. Curieux et commerçants venaient des régions alentour, se retrouvant pour le jour de l’ouverture, se côtoyant et festoyant pendant une semaine entière.
Vendelin, un jeune ménestrel et sa cousine Mahaut, qui l’accompagnait de ses danses endiablées, se joignirent à un groupe d’artisans qui se rendaient à la foire.
Une fois sur place les deux cousins cherchèrent un emplacement propice pour exercer leur art. Après de longues recherches infructueuses, commençant à désespérer, ils trouvèrent l’endroit idéal, juste sous les murailles du château. Ils dénichèrent une aire suffisamment dégagée pour la jeune fille et raisonnablement éloignée pour que les passants puissent entendre Vendelin.
Ils posèrent leur attirail contre la paroi. Mahaut sortit les foulards, rubans et colifichets qui lui servaient à attirer le regard des spectateurs, à mettre en valeur ses danses et ainsi augmenter leur pécule. Vendelin quant à lui, posa un sac de cuir après en avoir délicatement extrait un beau rebec que lui avait donné un vieil homme qui n’arrivait plus à s’en servir à cause de ses doigts déformés par le temps. Le vieil homme lui avait appris à l’apprivoiser, à faire courir ses doigts et l’archet sur les cordes, et Vendelin en élève doué et inspiré ne tarda pas à en tirer des musiques suaves, entraînantes et envoûtantes.
Comme c’était le premier matin de la foire, les deux jeunes gens se mirent à l’œuvre sans tarder, une foule déjà importante se pressant entre les stands. Vendelin caressa amoureusement son archet et le fit voleter délicatement sur les cordes de son rebec. Le son aigre-doux de l’instrument commença à titiller l’ouïe des passants, sans pour autant les attirer vers eux. Mahaut amorça alors des mouvements langoureux au rythme de la musique.
La souplesse, la beauté et le talent de la jeune fille appâtèrent un peu plus les flâneurs, charmés par son aisance. La foule de spectateurs se faisait de plus en plus compacte. Vendelin acheva de conquérir l’assemblée en entonnant un doux chant. Sa voix caressante et enjôleuse ensorcelait tous ceux qui l’entendaient. La virtuosité du garçon était incontestable et irrésistible.
Les exposants et les passants ne furent pas les seuls à être fascinés par la voix angélique du jeune homme. Claquemuré dans son château, le Seigneur de Guesterault, le comte Stanislas, fut lui aussi séduit par le chant du garçon. Jamais les villageois ne voyaient leur noble Seigneur, il ne sortait que rarement de sa demeure, mais savait tout ce qu’il se passait dans son fief, grâce à un astucieux système acoustique et un serviteur dévoué.
À la fin de la semaine de foire, le comte Stanislas envoya son serviteur chercher Vendelin. Celui-ci accepta l’invitation, tandis que sa cousine restait à l’extérieur, préférant la ville à l’imposant château.
Le comte Stanislas était un homme sans âge, qui paraissait fatigué ou malade. Il était assis dans un fauteuil recouvert de velours cinabre lui aussi fatigué. Il expliqua à Vendelin qu’il était amateur de musique, surtout de chant, et que les ritournelles du jeune homme avaient enchanté son oreille et son âme, l’avaient fait se sentir mieux.
Le comte Stanislas et Vendelin sympathisèrent assez vite, parlant de musique, de voix, d’instruments et des contrées lointaines où Vendelin avait voyagé. Pour remercier son hôte, Vendelin entonna plusieurs refrains juste pour lui en s’accompagnant de son rebec. Ils s’entendirent si bien qu’en fin de soirée, le comte Stanislas proposa à Vendelin de rester à demeure dans son château pour chanter pour lui. Flatté et content de se poser un peu Vendelin accepta.
Pendant plusieurs jours, il chanta pour le comte Stanislas dès que l’un ou l’autre avait envie d’entendre de la musique, Stanislas accompagnant parfois le ménestrel de sa belle voix grave. Au fil du temps, le comte semblait aller mieux, paraissait moins fatigué presque plus jeune.
Un jour, le comte montra à Vendelin un pendentif de belle taille sur lequel était gravé un papillon. Le ménestrel semblait hypnotisé par le bijou ancien. Stanislas l’autorisa à le porter à la condition de rester pour toujours au château et de ne jamais sortir le médaillon de la forteresse. Vendelin promit de rester et de ne jamais faire passer la porte au bijou, en contrepartie de quoi il put suspendre la chaîne autour de son cou.
Les jours passèrent, remplis de musique et de chants. Les deux hommes s’entendaient à merveille, le comte recouvrait doucement la santé. Le comte Stanislas pourvoyait à tous ses besoins et s’employait à satisfaire tous ses désirs, pourtant Vendelin commençait à s’ennuyer entre les murs de la forteresse, la route, la foule, les voyages lui manquaient, et il se demandait où était sa cousine.
Un soir, alors que le comte avait regagné sa chambre, Vendelin entendit une voix qui l’appelait. Il se rendit à une fenêtre donnant sur le village, l’ouvrit et se pencha, une lanterne à la main pour tenter de voir qui le hélait. C’était Mahaut qui venait le chercher ; elle avait rencontré une troupe de saltimbanques qui repartait le soir même par les chemins pour rejoindre une autre ville. Elle le supplia de se joindre à eux, lui expliquant que c’était une chance pour eux. Vendelin, bien que profondément attaché au comte Stanislas se laissa convaincre et sortit furtivement du château.
Les artistes ambulants, s’installèrent bientôt dans une ville de la province voisine. Les acrobates, danseurs et jongleurs commencèrent le spectacle, la gaieté de la représentation attira une foule nombreuse. Vendelin et Mahaut, prirent la suite, charmant à leur tour les badauds. À la fin de leur numéro, pendant les applaudissements, Vendelin vit une toute jeune fille qui le fixait avec insistance. Elle portait une magnifique robe couleur de feu, elle s’approcha de lui et lui dit en le regardant droit dans les yeux : "N’as-tu pas manqué à ta parole et emporté quelque chose qui ne t’appartenait pas ?". Un peu troublé, Vendelin porta instinctivement la main à sa poitrine et sentit le médaillon, mais il oublia vite la jeune fille et repartit avec la troupe.
Quelques temps plus tard, ils arrivèrent dans une autre ville, dans un fief un peu plus éloigné. Il y avait une grande fête donnée par le Seigneur du lieu. La troupe fut invitée au château pour une représentation privée. Les saltimbanques firent merveille, si bien que le Seigneur leur demanda de rester quelques jours. Après la dernière représentation, Vendelin fut abordé par une jeune femme en bel habit garance. Celle-ci s’approcha et lui susurra "N’as-tu pas manqué à ta parole et emporté quelque chose qui ne t’appartenait pas ?". Vendelin, surpris, sursauta ; il chercha la jeune femme du regard, mais ne la revit pas dans la foule. Ses doigts explorèrent sa poitrine en quête du bijou autour de son cou, ils le sentirent. Vendelin le sortit pour le regarder, il fut un peu déconcerté, il se le rappelait un peu plus grand.
La troupe de saltimbanques décida de rester dans cette ville pour passer l’hiver, Vendelin et Mahaut quant à eux préférèrent reprendre leur route. Après avoir erré par monts et par vaux, ils firent halte dans un village isolé. Les deux jeunes gens réussirent une assez belle prestation, le dimanche matin, attirant les habitants heureux de cette distraction, assez inhabituelle dans leur petit bourg. Comme toujours, la foule était sous le charme de la danse de Mahaut et de la voix de Vendelin, malgré la fatigue qu’il ressentait depuis quelques temps. Quand Vendelin fit la quête à la fin de son tour de chants, une femme d’âge moyen, revêtue d’un vêtement incarnat défraîchi, lui fit l’aumône tout en lui glissant à l’oreille : "N’as-tu pas manqué à ta parole et emporté quelque chose qui ne t’appartenait pas ?". Il faillit lâcher le chapeau, qui lui servait de sébile, de surprise, mais là encore il ne put lui demander une explication, elle avait disparu avant qu’il n’ait eu le temps de le faire. Il resserra sa main sur le médaillon.
Dans les jours et semaines qui suivirent, Vendelin se sentit malade, il pâlissait, s’affaiblissait sans que le guérisseur qu’il consulta ne comprît pourquoi. Malgré cela, le ménestrel et la danseuse continuèrent leur route. Vendelin se sentait de plus en plus fatigué, il n’arrivait plus à se reposer, la nuit il revoyait sans cesse en rêve les trois femmes, qui lui posaient toujours la même question. Mahaut, à qui il n’avait rien dit, ne comprenait pas la cause de son malaise.
Ils arrivèrent un jour dans un autre village, assez sombre et tristounet. Pourtant, ils décidèrent de produire leur spectacle. Si la prestation de Mahaut fut parfaite, Vendelin lui ne chanta pas aussi bien que d’habitude, sa voix était atone, les émotions passaient mal et le rebec semblait un peu faux. Grâce à la jeune fille et sa vitalité, ils récoltèrent quand même quelques deniers. Ce fut pendant qu’il comptait sa faible recette, que Vendelin vit une vieille femme habillée d’oripeaux rouge terne et sale, à la limite du bistre délavé, qui s’approchait de lui en boitant. Il prit peur et porta la main à sa poitrine, il toucha le médaillon qui lui sembla encore plus petit. Il se mit alors les mains sur les oreilles pour ne pas entendre les paroles de la vieille, pourtant il perçut quand même la phrase fatidique : "N’as-tu pas manqué à ta parole et emporté quelque chose qui ne t’appartenait pas ?".
Terrorisé, Vendelin expliqua à Mahaut l’origine de ses tourments. La jeune fille atterrée, décida qu’ils devaient retourner immédiatement à Guesterault et rendre le médaillon au comte Stanislas. Tous deux repartirent donc dans la direction de Guesterault. Le chemin fut long, Vendelin s’épuisait de plus en plus. Mahaut devait souvent le soutenir en fin de journée.
Enfin ils arrivèrent à Guesterault, mais ils eurent de la peine à reconnaître la ville, autrefois gaie et vive, elle semblait éteinte, triste, sale et pauvre. Quand ils virent enfin le château se dresser devant eux, ils constatèrent qu’il commençait à se dégrader, les habitants de la ville semblaient avoir fui la bâtisse et se tenir désormais au large du bâtiment autrefois imposant, mais désormais inquiétant. En arrivant à proximité de la forteresse, ils furent harangués par une très vieille femme en haillon d’une couleur indéfinissable : "As-tu ramené ce que tu avais pris ?". Vendelin glissa alors la main sous sa chemise et en sortit un médaillon au bout d’une chaîne, un tout petit médaillon sur lequel était gravé un petit papillon, un tout petit papillon.
Vendelin pénétra alors dans le château par la porte d’entrée entrebâillée, Mahaut elle resta à l’extérieur, ne parvenant pas à passer le seuil comme si la forteresse lui interdisait l’accès. Vendelin partit à la recherche du comte Stanislas pour lui rendre le médaillon et surtout se faire pardonner. Au bout d’un long moment, il parvint à le dénicher, allongé sur son lit. Il avait l’air très mal en point. Vendelin se mit à genoux à côté lui et tenta de le réveiller en posant délicatement la main sur son épaule. Le comte Stanislas ouvrit les yeux et tenta de parler. Vendelin s’approcha pour entendre ses paroles. Dans un dernier souffle Stanislas prononça le prénom de Vendelin, et expira dans ses bras avant que Vendelin n’ait eu le temps de lui donner le médaillon.
Au même moment, le médaillon se désagrégea et Vendelin entendit la porte d’entrée se refermer brutalement. Les larmes aux yeux, Vendelin contemplait Stanislas, il se sentait si coupable. Il entendit alors une voix qui semblait émaner des murs. Une voix qui lui disait qu’il avait volé l’âme et le cœur du comte Stanislas, qu’il était responsable de sa mort, qu’il devrait désormais prendre sa place. Il prit peur, et recula affolé, il percuta alors le serviteur du comte. Il tenait à la main un autre médaillon aussi gros que l’autre quand Vendelin l’avait vu la première fois. Il le tendit à Vendelin, qui s’en saisit sans réfléchir. Prenant conscience de son erreur, il le lâcha, mais il était trop tard. Il comprit que jamais plus il ne pourrait sortir du château, que jamais il ne reverrait Mahaut. De détresse, il jeta son rebec qui se brisa en deux. Le serviteur lui expliqua que son seul espoir était qu’un autre jeune homme accepte de vivre dans la demeure et consente à rester plus d’un an à ses côtés, sans qu’il en sache la raison profonde, pour le délivrer du maléfice.
Toute sa vie Vendelin espéra trouver ce sauveur, mais la ville déjà en déclin continua de péricliter, les habitants fuyaient les parages du château qui se dégradait de plus en plus, les étrangers passaient au large sans entrer dans la cité, au fur et à mesure que la santé de Vendelin se détériorait. Le jeune homme tant attendu ne vint jamais, et Vendelin ne fut jamais délivré du maléfice.
Des siècles plus tard, on raconte encore que l’âme du comte Vendelin erre dans les ruines du château de Guesterault et que seuls les jeunes gens peuvent encore percevoir son chant. Un beau chant… un très beau chant triste, mélodieux et envoûtant.
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