Les contes de l'Arc-en-Ciel
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Arsène
Arsène
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Un reflet doré Empty Un reflet doré

Sam 16 Nov 2024 - 17:32
Un reflet doré.




Emrys, un jeune garçon timide et plutôt solitaire, vivait avec ses parents et son frère aîné dans la ferme familiale. Depuis qu’il était en âge de le faire, il gardait tous les jours le troupeau de brebis, les faisant paître d’un pré à l’autre autour du village.

Une après-midi, en comptant les brebis, il s’aperçut qu’il manquait un agneau. Laissant provisoirement la garde du troupeau aux deux chiens qui l’accompagnaient toujours, il partit à sa recherche. Il entendit bientôt un bêlement léger, provenant du bosquet qui séparait le pré de la rivière.

Il s’approcha doucement pour ne pas effrayer l’agneau égaré. Il le repéra bien vite et se faufila entre les arbustes pour s’approcher de lui. Il tendit la main et parvint à l’attraper, et le tira vers lui délicatement pour ne pas lui faire mal tout en lui parlant doucement pour le rassurer. Le jeune ovin, en confiance, ne bêla pas et se laissa faire.

Alors qu’il tenait l’agneau dans ses bras, Emrys perçut des bruits de voix et de rires qui lui semblaient venir du côté de la rivière. Obéissant à sa curiosité, il s’approcha précautionneusement et se cacha derrière un buisson pour observer discrètement le lieu d’où provenaient ses éclats de voix joyeux.

Près de lui, il vit, attachés à un arbre, deux chevaux, une haquenée blanche et un magnifique alezan au tapis de selle armorié. Ces armes semblaient représenter un animal, un lion sable sur fond or.

Le regard d’Emrys était attiré, comme aimanté par les deux jeunes gens qu’il avait aperçus : une fille blonde qui semblait avoir à peu près le même âge que lui et un garçon aux cheveux cuivrés légèrement plus âgé. Les deux semblaient s’entendre à merveille et chahutaient joyeusement. La jeune fille était vêtue une robe blanche assez simple et le garçon d’un pourpoint jaune vif sur une chemise blanche et un haut de chausse moulant noir lui découvrant les mollets. Ils s’assirent bientôt dans l’herbe continuant à deviser joyeusement.

Soudain la jeune fille se releva, souleva le bas de sa robe et après avoir quitté ses sandales trempa ses pieds et ses mollets dans l’onde fraîche. Elle interpella son compagnon. Léandre, il s’appelait Léandre, et elle Aubeline, d’après ce que comprit Emrys lorsque le garçon l’apostropha à son tour. Quittant son pourpoint, Léandre ne tarda pas à la rejoindre, mais contrairement à la jeune fille, il n’entra pas délicatement dans le courant léger, il éclaboussa généreusement autour de lui, provoquant des cris de surprise de sa compagne arrosée. Elle ne voulut pas être en reste et, troussant un peu plus ses jupons, elle commença à faire gicler de l’eau sur le garçon avec son pied, de plus en plus fort. Celui-ci riait de plus belle, aspergeant copieusement Aubeline.

Bouche bée, incapable de bouger, Emrys observa les deux jeunes gens revenir sur la rive, mouillés, mais heureux, riant plus que jamais. L’eau, d’une grande impudeur, collait les vêtements trempés des deux adolescents sur leur peau, ne cachant plus grand chose de leur corps. Emrys, interdit, n’arrivait pas à détacher son regard de leurs formes parfaites. Son cœur battait la chamade, il fallait qu’il arrête de les regarder.  

Hypnotisé par cette vision inopinée, Emrys relâcha un peu son étreinte et l’agneau se sentant moins tenu et protégé, émit un bêlement plaintif. Un des chevaux, le bel alezan, hennit en réponse. Léandre tourna alors la tête vers sa monture, et se leva pour aller voir ce qu’il se passait, laissant Aubeline se reposer sur l’herbe.  

Le voyant venir vers lui, Emrys prit peur et repartit aussi vite et silencieusement qu’il le pût. Le jeune cavalier le vit pourtant de loin, et fronça les sourcils puis sourit en comprenant que le garçon les avait vus batifoler dans la rivière. Léandre retourna auprès d’Aubeline, le sourire au coin des lèvres.

Cette nuit-là et les suivantes, Emrys rêva abondamment. Il revoyait les jeunes gens s’amuser, rire, discuter et s’ébattre dans l’eau. Il les voyait dans un halo, nimbés de lumière, ils étaient beaux, mais dans ses rêves il osait les rejoindre, leur parler, et une main se glissait dans la sienne. C’était sa main, il la trouva douce, tendre et forte à la fois. Il se réveillait le cœur en émoi, mais néanmoins apaisé. Il regardait sa main, il lui semblait sentir la présence et la douceur de sa main sur sa paume.

Les jours suivants, dès qu’il le pouvait, Emrys revenait faire pâturer son troupeau dans les prés proches de la rivière espérant apercevoir les jeunes gens. Il revit presque chaque après-midi Aubeline et Léandre, assis au bord de l’eau à converser et rire. À chaque fois il sentait son cœur battre plus fort. Toujours il restait caché, n’osant s’approcher des deux jeunes nobles, lui le modeste berger. Il crut un jour sentir le regard de Léandre posé sur lui. Il se recula précipitamment, puis s’approcha à nouveau doucement. Le jeune homme portait son attention sur sa compagne. Emrys fut soulagé, il ne l’avait pas surpris à les observer.  

Les jours où il ne pouvait aller à la rivière pour épier les jeunes gens, Emrys respirait moins bien, était plus agité, mangeait moins, se sentait mal. Il comprit assez vite son tourment, son cœur battait différemment depuis qu’il les avait vus, depuis qu’il avait ouï son joli rire, sa belle voix et vu le soleil jouer dans ses cheveux. Il chuchota son prénom, qu’il était beau et doux ce prénom, il lui allait comme un gant. Il ne se lassait de l’entendre tant sa musique lui plaisait.  

Emrys continua à observer discrètement Aubeline et Léandre pendant des semaines, aussi souvent qu’il le pouvait. La pureté de ses sentiments se satisfaisait de voir de loin l’être aimé, l’admirant silencieusement, en catimini. Pourtant un jour les adolescents ne vinrent pas, les jours suivants non plus. Malheureux, Emrys resta néanmoins fidèle à son poste d’observation et revint inlassablement.

Une semaine plus tard, Emrys s’enhardit et alla jusqu’à la rive et s’assit dans l’herbe douce, à l’endroit même où son séant s’était posé. En se levant, un éclat lumineux attira son œil. Il s’approcha, se baissa, tendit la main et ramassa un objet métallique. Il le tourna et le retourna dans sa paume, c’était une fibule, une jolie fibule à tête de lion dorée. Il se rappela alors la dernière fois qu’il avait observé Aubeline et Léandre, cette fibule il l’avait vue briller, elle fermait son manteau. Elle avait dû se dégrafer lors d’un mouvement et tomber dans l’herbe. L’ardillon était cassé, c’était sans doute pour cela qu’elle s’était décrochée du vêtement. Il la serra dans sa main, contre son cœur, puis la glissa dans l’aumônière qu’il portait à la ceinture, il la lui rendrait un jour. Il trouverait le courage de l’aborder pour la lui restituer. Son cœur bondit de joie à cette pensée, espérant que ce jour viendrait bientôt.

Il eut beau revenir près de la rivière pendant des jours, jamais il ne revit ni Aubeline, ni Léandre. Souvent il s’asseyait sur la berge, sortait la fibule, la contemplait pieusement, la caressait délicatement du bout des doigts. Il espérait encore et encore, mais son espoir était toujours déçu. La nuit, il glissait l’attache sous son oreiller, et souvent ses doigts la cherchaient et se rassuraient en l’effleurant.

Un matin, alors qu’il gardait son troupeau, il sentit une chaleur inhabituelle se dégager de son aumônière, il l’ouvrit et vit que la fibule irradiait de lumière et de chaleur. L’animal sembla prendre vie, puis subitement devint très froid et inerte. Emrys le prit alors en main, mais il ne parvint pas à réchauffer le métal, il demeura glacial ce qui curieusement le rendit triste, profondément triste. Il le remit alors dans sa bourse, se demandant ce qu’il avait pu se passer.

Quelques temps plus tard, en faisant des courses pour sa mère au village, il surprit la conversation de deux commères. Elle parlait du seigneur du lieu. Il ne prêtait guère attention aux propos des deux femmes, attendant son tour pour se faire servir, quand un nom retint son attention. Il se fit plus attentif, tendant l’oreille au bavardage des deux pipelettes. Il faillit lâcher son panier en saisissant les nouvelles, Aubeline la fille du seigneur venait d’être mariée à un de ses lointains cousins, vivait désormais bien loin de ce lieu, et ne reviendrait jamais, tandis que son frère Léandre avait trouvé la mort la semaine suivante, soit environ trois semaines auparavant, lors d’un tournoi organisé par leur père.

Emrys abasourdi n’arrivait pas à réagir. C’était fini, définitivement fini. Il ressentit un grand vide, un très grand vide en lui. Il eut l’impression que son cœur tombait dans sa poitrine, que ses poumons étaient enserrés dans un étau, qu’il ne pouvait plus respirer. Cela ne pouvait pas être possible, elles devaient se tromper. Mais les commères continuèrent de parler de ces deux événements. Réalisant la véracité du drame, il comprit alors le pourquoi de son absence au bord de la rivière les semaines précédentes.

De retour chez lui, le jeune pâtre alla directement dans sa chambre sous les combles, s’écroula sur son lit et pleura tout son sou dans son oreiller. Il prit la fibule dans le creux de sa main et la serra très fort. Il ne lui restait que ça pour se souvenir de son regard clair et franc, de son doux visage et de son sourire éclatant. Comment allait-il pouvoir vivre sans l’espoir d’une nouvelle rencontre ?

N’arrivant pas à oublier, Emrys décida de s’éloigner quelques temps, de partir dans la forêt, loin du monde. Ses parents et son frère tentèrent en vain de le retenir, mais sa décision était prise. Ils avaient une cabane aménagée dans une clairière qu’ils utilisaient quand ils allaient faire des travaux forestiers. Il irait y vivre un moment seul pour réfléchir, tel un ermite au cœur de la sylve.

Il partit le lendemain avec son baluchon contenant quelques vivres, des vêtements et emmena avec lui une chèvre pour le lait. Il s’enfonça dans la forêt, portant son lourd chagrin sur ses épaules. Arrivé à proximité de la cabane, il entendit un petit bruit dans un buisson. Il alla poser ses affaires et attacher sa chèvre puis revint sur ses pas pour chercher ce qui avait fait ce bruit. Il se baissa, écarta les branches basses et vit un petit animal qui gémissait.

C’était un renardeau roulé en boule, il était tout jeune, il devait avoir approximativement un mois. Visiblement il était seul et appelait ses parents, il semblait maigre et abandonné. Emrys décida de ne pas le toucher pour que les adultes ne le rejettent pas s’ils revenaient. Il repartit vers la cabane. Le petit renard se leva sur ses pattes hésitantes, poussa de petits glapissements et partit à la suite d’Emrys. Celui-ci se retourna et tenta de le faire déguerpir, ses parents pouvaient revenir le chercher, mais le jeune animal ne fuyait pas, au contraire il semblait vouloir aller avec lui.

Emrys, qui avait toujours aimé les animaux, le laissa finalement venir avec lui vers la cabane, il tira du lait de la chèvre et lui en donna une écuelle. Le renardeau s’approcha du récipient avec prudence, sentit le liquide, y trempa délicatement le bout de la langue, puis but goulûment. Il paraissait affamé, peut-être était-il là, tout seul depuis plusieurs heures voire un ou deux jours. Le jeune canidé, dès qu’il fut rassasié, se retourna et alla vers Emrys. Celui-ci se baissa, et l’animal lui lécha la main tout en le fixant dans les yeux. Emrys ressentit alors une grande chaleur en lui, il sourit au petit animal, et caressa la tête du renardeau à l’extraordinaire regard bleu azur.  

Emrys prit soin du jeune renard jour après jour, il le nourrit, le réchauffa et finalement l’adopta. Il l’appela Aslan. Aslan grandit à ses côtés. Ils partageaient tout, le gîte, le couvert, les promenades. Grâce aux jeux du renardeau, Emrys commença à retrouver un peu de joie de vivre, ils pansaient mutuellement leurs blessures.

Petit à petit Emrys reprenait le dessus tout en gardant au fond de lui une grande tristesse, Aslan avait partiellement comblé un vide. Emrys entretint et améliora la cabane pour se sentir pleinement à l’aise, Aslan toujours sur les talons. Rapidement, d’autres animaux s’approchèrent de la maisonnette, pour devenir bientôt familiers des lieux. La cabane d’Emrys se transforma en havre de paix pour tous les habitants de la forêt. Les lapins, et les cerfs venaient s’abreuver à sa source, les écureuils et les oiseaux mangeaient les graines et les petits fruits. Emrys appréciait cette proximité avec la faune, et Aslan ne tenta jamais de croquer un lapin ou un oiselet.

Parmi tous ces animaux sauvages qui s’approchaient sans peur, Emrys avait une attirance particulière pour les passereaux qui égayaient l’air de leur chant, plus particulièrement les mésanges charbonnières, ses préférées, elles étaient si jolies. Elles venaient manger dans sa main, et les plus audacieuses se posaient même sur le pelage d’Aslan. Quand une avait l’aplomb de se percher sur sa tête, les grimaces que faisait Aslan pour regarder l’insolente mettaient Emrys en joie, tant le renard était drôle avec la tête penchée et les yeux qui louchaient.

La complicité était telle entre le jeune homme et le renard affectueux qu’ils se comprenaient parfaitement. Emrys avait l’impression qu’Aslan était humain, plus humain que la plupart des hommes. Il voyait en lui des sentiments, des regards pleins de compréhension, d’humanité, il semblait comprendre tout ce qu’il lui disait. Quand, l’hiver approchant, Emrys sortit de son aumônière la fibule à tête de lion pour agrafer sa cape, il lui sembla voir un éclat lumineux dans le regard cérulé du renard et un sourire se dessiner sur ses babines. Mais les renards ne sourient pas habituellement, cependant, Aslan n’était pas un animal ordinaire. Emrys lui sourit en retour et Aslan vint poser doucement sa tête sur ses genoux, le fixant dans les yeux. La fibule se réchauffa dans la main d’Emrys. Il se sentit revivre et passa la main sur la tête de son ami, qui lui donna un coup de langue en retour.

Emrys ne revint jamais dans le village, il passa toute sa vie dans la forêt, flanqué d’Aslan, le renard aux extraordinaires yeux bleus, qui eut une longévité hors du commun, pour un animal de son espèce. Il était le parfait compagnon pour lui, réconfortant, toujours présent. Il venait se coucher à ses côtés pour le réchauffer, était très câlin. Il accompagna Emrys jusqu’au bout de sa vie, ne le quittant jamais, restant inlassablement à ses côtés. Ils vécurent entourés d’animaux sauvages de longues années, rarement l’un allait sans l’autre, et s’éteignirent à quelques jours d’intervalle.


Un reflet doré Aslan10
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